Développement du management dans le secteur public : seconde partie

Développement du management dans le secteur public : seconde partie

9063
5
SHARE

Ce texte est la suite d’un premier billet sur le développement du management dans le secteur public.

Le management est une pratique, soutient à juste titre Henry Mintzberg. Du coup, l’expérience du manager est nécessairement au cœur de son apprentissage. Et ceci est particulièrement important pour le manager public. Pourquoi ?

Les modèles d’action

Le moteur du développement de tout manager se situe au niveau de ce que Chris Argyris appelle ses modèles d’action, c’est-à-dire les cadres de référence qui guident ses pratiques. Ces cadres, issus de son expérience, sont constitués des représentations que le manager se fait de la réalité, représentations habitées de ses valeurs et croyances.

Mais, comme le note Chris Argyris, interrogés sur leurs pratiques, les managers expliquent leurs manières de faire beaucoup plus à partir des modèles qui leur ont été enseignés (théories professées) qu’au regard de ceux qui les guident au quotidien (théories pratiquées), c’est-à-dire leurs modèles d’action.

Des théories professées inadaptées

Et, dans le cas du manager public, une partie conséquente de ses théories professées sont inadaptées, voire contreproductives, parce qu’elles ont été élaborées par et pour la grande entreprise privée. Du coup, toute démarche de développement du management doit permettre au manager public de dépasser, voire déconstruire, certaines théories professées, d’accéder à ses modèles d’action, d’en évaluer la pertinence et, le cas échéant, de les faire évoluer.
Comment ? En étant structurée en trois moments distincts et complémentaires :

  • Appropriation, ou réappropriation, de l’expérience : à partir d’une observation réflexive diachronique, le manager prend conscience des problèmes qu’il doit résoudre et repère, parmi les solutions qu’il a déjà envisagées, celles qui ont fait leurs preuves, celles qui ont débouché sur des impasses.
  • Questionnement, puis réinterprétation, de l’expérience. Ce moment est composé de deux parties : (1) des apports théoriques et méthodologiques, explicatifs et non normatifs, élaborés à partir de la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être dans un monde idéal, permettent au manager de dépasser, voire déconstruire, les théories professées, d’accéder à ses modèles d’action et d’estimer le besoin de les faire évoluer ; (2) des applications pratiques, directement issues de sa situation de travail, qui invitent le manager à éprouver ces grilles de compréhension et d’interprétation pour favoriser l’intégration de nouvelles représentations à ses propres modèles d’action.
  • Confrontation de l’expérience : le manager enrichit ses modèles d’action et, le cas échéant, imagine des alternatives inspirées des pratiques de ses pairs, des complices légitimes à ses yeux.

En pratique, par exemple, des ateliers -réunissant un petit groupe de managers (entre 5 et 7), centrés sur une situation opérationnelle au cœur de l’exercice de la fonction de management (les managers ont acquis de l’expérience puisqu’ils y sont confrontés au quotidien), animés par un professionnel capable d’adopter alternativement différentes postures (coach, formateur, consultant et facilitateur)- sont une manière féconde de mettre en application ces trois temps au cœur du développement des managers.

En guise de synthèse

Trois enseignements fondamentaux pour la mise en place de démarches de développement du management dans le secteur public me semblent pouvoir être tirés de l’examen des spécificités du travail du manager public.

D’abord, ces particularités font que les démarches de développement du management ne peuvent être ni dupliquées ni décalquées directement de celles du privé. Dans ce domaine, le benchmarking induit en erreur. La meilleure manière de ne pas tomber dans le piège est d’utiliser l’expérience des managers, nécessairement contextualisée, comme ressource pédagogique de base, comme point de départ du processus d’apprentissage.

Ensuite, plus que les leviers de management des manuels auxquels le manager public n’a en général pas ou peu accès, ses points d’appui, c’est-à-dire les branches auxquelles il se raccroche pour manager dans la vraie vie (par exemple, la proximité affective et le réseau informel dans le cas de l’Organisme), doivent servir de fondation à toute démarche de développement du management.

Enfin, le manager public apprend plus en confrontant ses théories pratiquées à celles de ses pairs qu’en écoutant n’importe quel formateur, aussi pédagogue soit-il, lui vanter les mérites de théories professées pour la plupart inutiles, voire contreproductives, dans son contexte d’action.

Bref, l’expérience et les pairs sont les deux meilleurs amis du manager public pour son développement.

5 COMMENTS

  1. Article tres interessant. Nous vous remercions pour vos efforts inlassables a ce sujet. Je me permet de demander votre Avis parrapport a levaluation du degre reussite de la methode proosee et appropriation par les managers des bones pratiques visees
    Merci

  2. bonjour à tous.

    même si je crois profondément à l’ancrage des savoirs dans les expériences, je pense qu’il est quelque peu réducteur de penser que le manager public apprends plus par ses pairs que par les formateurs.

    en effet le processus de déconstruction /constructions se fait également au regard de savoirs théoriques qu’ils est intéressant de posséder pour mieux intégrer les changements qui peuvent s’opérer, que ce soit en management opérationnel ou en management stratégique.

    Les fonctions publiques disposent de dispositifs pour former leurs cadres dirigeants par des cycles de managements opérationnels ou stratégiques (parfois certifiants) dans leurs écoles.

    Il sont souvent animés en partenariat avec des universités. Ils visent à sensibiliser et approfondir avec les managers les différentes formes de pilotage des politiques publiques dans un monde en crise.

    Se baser uniquement sur l’expérience des pairs, sans se sensibiliser au monde qui nous entoure, et sans s’imprégner des méthodes de management des politiques publiques reviendrait à piloter une voiture au travers de ses rétroviseurs.

    La question mérite donc d’être nuancée et approfondie.

    De ma vue des collectivités territoriales, je pourrai contribuer avec plaisir à cet approfondissement.
    bien cordialement.

  3. Nous sommes loin de l’entreprise et du management des affaires et des hommes , car si la nouvelle pratique du coaching est centrée sur la personne et le développement de sa performance , si elle est un accompagnement personnalisé qui vise à favoriser l’autonomie, la responsabilité et la mobilisation de toutes les ressources des collaborateurs du manager ( D. Noyé, Coacher vos collaborateurs , Insep Consulting, 2002), je rappelle encore une fois qu’elle recherche une meilleure productivité.Loin de moi l’idée de vouloir diaboliser le monde de l’entreprise, il a sa logique, sa cohérence et sa nécessité au service du développement économique de notre pays ; de plus il donne des idées utiles au monde de l’éducation ! Mais sachons différencier les deux univers !

LEAVE A REPLY