Conditions d’exercice du management : les évolutions organisationnelles

Conditions d’exercice du management : les évolutions organisationnelles

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Raccourcissement des lignes hiérarchiques et structure plate, transversalité et fonctionnement par processus, organisation en réseau et par projet, polyvalence et groupes autonomes, décentralisation et subsidiarité,… sont les principaux mots d’ordre des deux dernières décennies en matière d’organisation. Ces évolutions organisationnelles sont des traductions concrètes de deux tendances de fond : autonomie et transversalité. Quelles conséquences ont-elles sur les conditions d’exercice du management ?

De l’autonomie clandestine à l’autonomie reconnue

Dans une organisation traditionnelle, on attend fondamentalement des salariés qu’ils respectent des règles, procédures, modes opératoires,… définis par d’autres. L’autonomie reconnue à ceux qui agissent, par opposition à ceux qui pensent, est limitée. On entretient même pendant un temps le fantasme bureaucratique de la faire disparaître complètement. Cependant, Michel Crozier a bien mis en exergue que, en jouant avec et sur les règles, chaque salarié arrive toujours à se reconstituer un minimum de marge de liberté. Mais cette dernière est clandestine, c’est-à-dire non reconnue officiellement au sein de l’organisation. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’on accorde et reconnaît explicitement davantage d’autonomie aux salariés. Cette autonomie, officielle et affichée, permet de placer le pouvoir de décision au plus près des problèmes, de faire face rapidement aux aléas, de développer esprit d’initiative et d’innovation tout au long de la ligne hiérarchique,… autant d’atouts permettant à l’entreprise d’accroître sa capacité d’adaptation.

L’autonomie se justifie du fait de l’incapacité de prévoir et de prescrire l’ensemble des situations que l’individu est susceptible de rencontrer dans l’exécution de son travail. Pour apporter des solutions à des problèmes de plus en plus diversifiés, faire face aux aléas d’environnements de moins en moins prévisibles, le tout sous forte contrainte d’urgence et de coût, les organisations « modernes » cherchent, sous diverses formes, à réunir ce que Taylor avait séparé : la conception et l’exécution du travail. Le travail est moins standardisé par les procédés, plus par les résultats. Les règles sont moins prescriptives. Ce faisant, pour le gardien de leur application, c’est-à-dire le manager, elles sont des leviers d’action moins judicieux pour orienter les comportements.

Les collaborateurs du manager contrôlent davantage de moyens

Quelle est la conséquence de tout cela sur les conditions d’exercice du management ? Le renforcement de l’autonomie affecte une des ressources de pouvoir essentielles traditionnellement aux mains des managers : le contrôle des moyens. Etre autonome signifie avoir les moyens de son action. Sans quoi l’autonomie est une « fausse barbe » et reste une déclaration d’intention. Avoir des collaborateurs autonomes, c’est avoir des collaborateurs qui, par délégation, contrôlent davantage de moyens. C’est la base du principe de subsidiarité si souvent revendiqué par les entreprises en quête de performance. On peut redire ici ce que nous avons dit du management à distance : manager des collaborateurs autonomes, ce n’est pas manager plus ou mieux, c’est manager différemment !

La transversalisation des organisations trouve deux traductions concrètes

Là où les organisations traditionnelles sont parcellisées et verticalisées, on cherche à développer la transversalité et le travail de groupe dans des structures en réseau et par projet. De spécialisés et mono-activité, les salariés deviennent polyvalents, multi-appartenants et dépendants davantage les uns des autres pour remplir leur mission réciproque : rattachés à une ou plusieurs unités d’organigramme, par exemple dans le cadre de structures matricielles, ils contribuent à différents processus, participent simultanément à plusieurs projets,… La transversalisation des organisations trouvent deux traductions concrètes dont les conséquences sur les conditions d’exercice du management ne sont pas les mêmes : le projet et les structures matricielles.

Le management par projet présente deux grandes caractéristiques : c’est un management hors hiérarchie et à durée déterminée. Le plus souvent, les acteurs d’un projet ne dépendent pas hiérarchiquement de celui à qui on en confie la responsabilité. Il n’en est pour autant pas moins dans une situation de management où il s’agit bien de transformer du travail en performance. Le projet mobilise en effet des ressources consacrées habituellement, au moins pour partie, à d’autres activités. Son mode d’animation et de management ne peut ainsi être de même nature que celui qui s’inscrit dans une relation hiérarchique traditionnelle. Quels leviers le manager peut-il actionner pour obtenir de la performance de la part de ses collaborateurs ? Aujourd’hui, la réponse à cette question est loin d’être évidente. Elle en repose une autre encore plus fondamentale : celle du pouvoir que, concernant les managers de projet, on qualifie pudiquement d’influence, par opposition à hiérarchique. Pouvoir d’influence du manager de projet dont on sait bien qu’il ne peut se réduire au sel charisme de celui-ci.

Ensuite, un projet a un début et une fin. Centré sur un résultat, une fois ce dernier obtenu, le projet s’arrête. Le dispositif bâtit à cet effet disparaît. La structure du projet est temporaire. Elle se superpose aux structures permanentes du reste de l’entreprise. La relation entre les acteurs d’un projet est donc bornée dans le temps. Pendant toute la durée de leur coopération, non seulement les parties savent qu’elles vont se quitter, mais, en plus, connaissent la date de leur séparation. On passe d’un management à durée indéterminée à un management à durée déterminée. Les séparations sont plus fréquentes. Le manager doit ainsi, entre autres, faire l’apprentissage du deuil.

Remise en cause du principe de l’unicité de commandement

Les structures matricielles posent, elles, le problème du partage des ressources et de l’unicité du rattachement hiérarchique. Au début du siècle, Henri Fayol, l’un des rares penseurs du management à être français, a défini un principe respecté pendant de nombreuses décennies : au sein d’une entreprise, chaque personne ne doit dépendre que d’un chef et d’un seul. Dans les organisations « millefeuilles » d’aujourd’hui, certains dépendent de tellement de personnes qu’ils ne savent plus dire combien ils ont de chefs. En effet, les structures sont par produit, et en même temps par grands comptes, par pays, par processus,… Parfois plus personne ne s’y retrouve. Et des questions idiotes recommencent à se poser : « Cette année, qui va faire mon entretien annuel ? »

Une personne qui dépend de plusieurs managers, ce sont plusieurs managers qui partagent la même ressource. On fixe des objectifs au manager et on lui alloue des ressources pour les atteindre, en particulier des ressources humaines. Jusque là, les ressources humaines allouées sont exclusives. Aujourd’hui, elles sont fréquemment partagées. Si chacun des managers entre lesquels elles sont partagées ne les utilisent pas au même moment, il n’y a pas de problème. Et pourtant, cela pose des problèmes fréquents. Pourquoi ? Justement parce qu’il n’est pas rare que les deux (ou les trois) managers en aient besoin au même moment. L’élaboration du budget n’est plus le seul moment de l’année où les ressources se négocient. La négociation est une compétence que les managers mobilisent de plus en plus, et pas seulement pour obtenir une ristourne auprès de leurs fournisseurs.

Flexibilité qualitative et quantitative

Une autre évolution organisationnelle de taille est liée à la recherche de flexibilité de la part des entreprises. On distingue aujourd’hui couramment la flexibilité qualitative de la flexibilité quantitative. La première passe par le développement de la polyvalence, des compétences et des marges d’autonomie. Nous avons déjà largement explicité son impact sur les conditions d’exercice du management. La flexibilité quantitative, elle, vise à recourir à une force de travail faite non plus seulement de salariés à contrat à durée indéterminé, mais aussi de CDD, du personnel intérimaire, rattachés non plus directement à l’entreprise, mais à ses clients, fournisseurs ou partenaires. Au sein d’une même équipe, les statuts sont de plus en plus fréquemment multiples. Des salariés « protégés » cohabitent avec des salariés « précaires ». Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Les réponses aux problèmes de gestion des ressources humaines sont nécessairement moins uniformes et donc risques d’iniquité bien plus importants. Le manager ne peut plus traiter tout le monde de la même manière. Son management est nécessairement davantage individualisé.

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