Le management par les objectifs à bout de souffle

Le management par les objectifs à bout de souffle

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Dans l’imaginaire collectif, le management par les objectifs est bel et bien devenu le management. Il est néanmoins l’objet de nombreuses critiques, voire de profondes remises en cause, en commençant par ceux qui le pratiquent. Paradoxe ? A voir…

La règle plutôt que la relation de face-à-face

En France, les observateurs du monde des affaires ont longtemps considéré que les limites du MPO étaient surtout, et avant toute chose, culturelles. Contrairement aux Etats-Unis, la relation hiérarchique reposerait moins sur la logique contractuelle que sur celle de l’honneur théorisée par Philippe d’Iribarne. L’honneur est un préjugé, auquel sont associés devoirs et privilèges, lié au rang que l’on tient en société ou dans l’entreprise. Les problèmes posés par ce trait culturel en matière de MPO, où le collaborateur et son manager s’engagent contractuellement sur des contributions et rétributions, sont aisément compréhensibles.

Dans les années 1960 déjà, Michel Crozier avait bien montré la difficulté des Français à résoudre des problèmes dans une relation de face-à-face ; expliquant ainsi notre préférence pour la règle, un intermédiaire bien commode dans les relations interpersonnelles. Or justement, le MPO a longtemps été présenté comme une « machine de guerre » contre la bureaucratie, une manière de sortir d’une logique de moyens et d’entrer dans une logique de résultats. Les objectifs sont au management ce que les règles sont à la bureaucratie ? Pas si simple ! L’existence de règles n’est pas forcément synonyme de bureaucratie. Les règles peuvent être de véritables leviers de management, des moyens de produire et de mesurer la performance : c’était le projet de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) de Frederick Taylor. Inversement, la présence d’objectifs, même tonitruante, n’est pas synonyme de management. La fixation d’objectifs peut être détournée de son but initial. Dans certaines grandes entreprises, le MPO s’est déjà clairement transformé en bureaucratie par objectifs.

Le MPO comme pilier du changement

Depuis quelques années, cette entreprise doit faire face à une concurrence très agressive. Afin d’être plus performante, elle cherche à faire évoluer ses processus, ses métiers, la structure de ses effectifs, mais aussi sa culture et ses modes de management. L’introduction du MPO est présentée comme l’un des piliers de ce changement d’envergure. Des systèmes sophistiqués sont mis en place pour définir, évaluer et récompenser les performances, tant individuelles que collectives. D’autres assurent pilotage et reporting.

Comment cela fonctionne-t-il ? Une fois définie par le comité de direction, la stratégie (bonne ou mauvaise, là n’est plus l’essentiel) est déclinée de haut en bas de la ligne hiérarchique (là est la vertu cardinale) dans chaque direction, puis dans les services. Le tout est très détaillé et même, selon certains, « maladivement précis ». Rien n’est laissé au hasard. Les objectifs sont plus imposés que négociés. Chaque niveau hiérarchique traite celui d’en dessous comme il a été traité par celui d’au-dessus. Personne ne se plaint de ce manque de contractualisation, pourtant au cœur de la philosophie initiale du MPO. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait très bien que les objectifs ne sont pas fixés pour être atteints. Ce sont des ambitions, pas des engagements. Par exemple, un directeur présente une des unités sous sa responsabilité de la manière suivante : « c’est la plus performante, elle a presque atteint ses objectifs ». Quelle prouesse !

Dans les faits, les managers « bâtonnent » pour reprendre l’expression consacrée par certains, c’est-à-dire remplissent les cases des formulaires et des tableaux de reporting, d’importants volumes soigneusement rangés dans les placards. En bon élève, chacun s’exécute, mais personne n’est dupe. Tout le monde semble trouver son compte à ces « faire-semblants », sauf peut-être la direction. Pendant que les managers « bâtonnent », les concurrents prennent des parts de marché.

Une complexité accrue liée à l’incertitude et à l’instabilité

Les limites culturelles existent depuis le départ. Elles sont plutôt moins importantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a cinquante ans. Ce ne sont donc pas elles qui pourraient présentement remettre en cause le MPO. Les raisons sont à chercher ailleurs. Mondialisation des échanges, accroissement de la concurrence, sophistication des technologies, comportements plus volatiles et moins fidèles ? Les environnements économiques, techniques, commerciaux et sociaux sont plus complexes. La variété croissante des situations, l’accroissement de l’incertitude et de l’instabilité sont les principales expressions de cette complexité. Ces trois facteurs ne sont pas indépendants. Au contraire, ils se renforcent mutuellement. Ils influencent le fonctionnement de l’entreprise et, par là même, la situation de travail de nombre de managers. Beaucoup ont perdu en visibilité. Le changement est devenu la règle et, parfois, seules les évolutions démographiques restent prévisibles : « l’année prochaine, mes collaborateurs auront un an de plus… mais ne seront peut-être plus membres de mon équipe, voire même, salariés de l’entreprise». A la question, « pourquoi rencontrez-vous des difficultés pour fixer des objectifs à vos collaborateurs ? », les réponses les plus fréquentes sont : « nous n’avons pas suffisamment d’information ; ça change tout le temps ». Pour s’adapter à ces évolutions, certaines entreprises ont diminué le temps de cycle du MPO (fixation des objectifs, suivi du travail et évaluation des résultats).

La rémunération variable n’est pas si variable que cela

Le directeur général d’une grande entreprise de services « tape du poing sur la table ». Pour quelle raison ? La rémunération variable n’est pas si variable que cela. Tout le monde touche peu ou prou la même chose. Globalement, le bonus est l’équivalent d’un treizième mois, devenu au fil du temps et par habitude un avantage acquis. Récompenser la performance individuelle ? Non ! Avec la rémunération variable, les managers achètent plutôt la paix sociale. Pour pouvoir faire des différences individuelles en matière de rémunération, il faut être capable de les justifier. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas. C’est bien au niveau de la fixation des objectifs et de l’évaluation des résultats que le bât blesse. Les managers ont pourtant été formés. Ils savent comment faire, mais n’y parviennent pas. En grande partie à cause de l’évolution des environnements. Depuis quelques années déjà, l’entreprise traverse une zone de turbulence. Pour nombre de managers, « au-delà de trois mois, nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés. Une fois fixé, la plupart des objectifs sont déjà caducs. L’horizon annuel est beaucoup trop long ». Sur la base de ce diagnostic, la Direction des Ressources Humaines décide de transformer l’entretien annuel en entretien semestriel de manière à raccourcir le cycle du MPO.

Une solution consiste donc à multiplier le nombre d’entretiens. Mais, au bout du compte, les managers se plaignent de « perdre » leur temps à fixer des objectifs, évaluer des résultats, faire du reporting,… Ils passent leurs journées enfermés dans leur bureau à remplir des formulaires, des tableaux de bord et n’ont plus la disponibilité d’être sur le terrain auprès de leurs collaborateurs. Le pilotage prime sur tout le reste, en particulier l’animation d’équipe et le développement des collaborateurs : deux des « maillons faibles » de la fonction managériale.

Le cas d’une entreprise de grande distribution

Dans une entreprise de la grande distribution, tous les semestres, en janvier et en juillet, et non tous les ans comme il y a encore quelques années, deux types d’objectifs sont fixés aux chefs de rayon et de secteur lors d’un entretien spécifique : quantitatifs (montant et croissance de chiffre d’affaires, marge,…) et qualitatifs, des actions particulières à réaliser au cours du semestre. Cette performance individuelle est rétribuée par la RVI (Rémunération Variable Individuelle). En plus, existe un entretien, annuel lui, visant à évaluer la tenue du poste, recueillir les besoins en formation, les souhaits d’évolution professionnelle,… Au total, tous les ans, les managers conduisent trois entretiens différents avec chacun de leurs collaborateurs. Certains trouvent que c’est beaucoup, qu’ils y passent trop de temps aux dépens d’autres fonctions.

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