Histoires d’un manager ordinaire (suite)

Histoires d’un manager ordinaire (suite)

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Vous éprouvez ou avez éprouvé les sentiments décrits dans la première partie de ce billet ? C’est d’ailleurs sans doute ce qui vous a conduit à lire la seconde ! Si c’est le cas, je vais essayé de vous rassurer.

Le management est un mystère

En fait, le management a beaucoup plus à voir avec ce que vous faites tous les jours qu’avec ce dont on vous a parlé pendant votre stage de formation, qu’avec ce que vous avez lu dans les ouvrages, qu’avec ce que vous avez le sentiment de ne pas bien faire. Le management est un mystère : on en parle d’une certaine manière, on le pratique d’une autre.

Vous ne possédez évidemment pas toutes les qualités requises pour être le manager « idéal » des manuels. Mais qui les possède toutes ? Avouez qu’il est difficile de les trouver réunies chez une seule et même personne. Arrêtez de culpabiliser ou de vous dévaloriser ! Renoncez à être un manager parfait, à être le manager « idéal » des manuels et des stages de formation. C’est un fantasme, une construction de l’esprit. Il existe uniquement dans nos têtes.

Qui est responsable de ce décalage entre discours et réalité à propos du management ?

Les formateurs et les consultants, ceux qui à longueur de journées expliquent comment faire ce que souvent ils n’ont jamais fait à des managers qui, eux, le font tous les jours. « Quand on connaît le management, on le pratique ; quand on ne le connaît qu’en partie, on le conseille ; quand on ne le connaît pas du tout, on l’enseigne ». Voilà une blague facile sur les formateurs et les consultants, des cibles vite trouvées. Ils sont responsables, mais ne sont pas les seuls.

Vous, par exemple, de quoi parlez-vous quand vous parlez de management ? Relativement peu de vos pratiques et des problèmes que vous rencontrez. Souvent plus de ce que vous devriez faire que de ce que vous faites réellement. Sur le sujet qui nous intéresse ici, le management, il n’y a souvent pas plus langue de bois que les managers eux-mêmes. Un peu comme si cela était honteux d’avouer qu’on ne fait pas ce que les manuels recommandent. Prenons encore un autre exemple pour illustrer ce décalage entre discours et réalité : les descriptions de poste, les référentiels et les chartes de management. Sur quelle représentation du manager ces outils de gestion des ressources humaines sont-ils construits ? Une nouvelle fois, celle du manager « idéal ».

Le référentiel de management d’une grande entreprise de services

Arrêtons-nous un court instant sur le contenu du référentiel de management d’une grande entreprise de services. On peut y lire que le manager écoute et prend en compte les idées de ses collaborateurs, forme, fait évoluer, valorise, donne des signes de reconnaissance, sait s’entourer, établit la confiance, développe l’esprit de solidarité, décline la stratégie, fixe des objectifs clairs et précis, donne du sens, favorise la prise d’initiative, fait évoluer l’organisation, délègue et développe l’autonomie, donne l’exemple, fait preuve d’équité, favorise la créativité, décide, récompense et sanctionne de manière juste et impartiale, accepte les désaccords, donne le droit à l’erreur, maintient l’enthousiasme,… Et la liste continue.

Du manager « idéal » au manager de la « vraie vie »

Pourtant, le management de la « vraie vie », celui que vous pratiquez, peut se décrire. C’est notre ambition dans ce blog. Raconter ce qui se passe, arrêter de seulement imaginer ce qui devrait se passer. Deux conditions sont nécessaires pour appréhender le management de la « vraie vie » : (1) partir de la réalité, du monde tel qu’il est et non tel qu’il devrait être, tel qu’on le fantasme ; (2) savoir utiliser plusieurs grilles de lecture de cette réalité à dimensions multiples : économique, sociologique, psychologique, politique,…

La réalité du manager est tellement complexe qu’aucune grille de lecture, à elle seule, ne permet de la comprendre complètement. Chaque grille n’en donne qu’une compréhension partielle. Il faut donc être capable d’en mobiliser plusieurs. Il faut chausser différentes « paires de lunettes », mais les chausser alternativement, pas simultanément. En effet, en les superposant, on risque, au bout du compte, de ne plus rien voir du tout. Cela rend l’exercice particulièrement délicat et, surtout, nécessairement inachevé. Pourquoi ? Parce qu’il reste toujours une partie inexpliquée à laquelle il faut bien se résoudre. Quand on est manager, il faut agir, prendre des décisions,… sans être capable de tout expliquer. Il faut renoncer à tout contrôler, accepter de vivre dans le doute. C’est avec cette part d’incertitude que vous devez composer. Elle fait votre quotidien.

Le manager : un « problem » solver

Certains auteurs, peu nombreux en comparaison du nombre d’ouvrages de management qu’on trouve dans les rayons des bibliothèques et sur les étalages des librairies, se sont livrés à cet exercice avec talent. Ils décrivent le manager de la « vraie vie », pas le manager « idéal ». A la question « à quoi servent les managers ? », ces auteurs, universitaires ou praticiens, répondent sans concession : « à faire en sorte que l’organisation fonctionne ». Un stratège, un architecte, un coach,… Oui, un peu, parfois, dans certaines circonstances !

Mais le manager de la « vraie vie » est surtout un « problem solver », comme disent les Anglo-saxons, quelqu’un qui passe ses journées à mettre de l’huile dans les rouages de l’organisation pour qu’elle fonctionne, quelqu’un qui passe ses journées à faire avancer les choses qui n’avancent pas. L’image est moins attractive et moins valorisante, mais plus proche de la réalité que vous vivez tous les jours.

8 COMMENTS

  1. Bonjour,
    Oh que je bois du petit lait en lisant ces propos ! Des enseignants en management qui distribuent les mêmes polycopiés depuis cinq ans, j’en connais. Enseignant en management depuis deux ans, après une première vie professionnelle (30 ans de management), une formation d’assesseur EFQM et des recherches en intelligence collective, je vous rejoins sur la difficulté d’apprendre à être manager. Des outils, des méthodes, certes, mais qu’en est-il de l’apprenti manager ? Se connait-il lui-même ? Est-il en paix avec lui-même ?Est-il prêt à apprenhender ces différentes grilles de lecture, sans ego démesuré ?
    Vaste sujet passionnant !

  2. Trés bon billets Eric,

    Et pourquoi la réalité du management que vous décrivez serait-elle moins attractive et moins valorisante? Et valorisante par rapport à qui?

    Manager, c’est combiner en un étrange cocktail réaslime, ambition, et humilité. C’est aussi accepter l’ambiguïté. Dans ce contexte, l’un des problèmes fondamentaux du management c’est … la culture française! Individualisme, pseudo-élitisme basé sur le diplôme et pas sur les réalisations, népotisme au sein des grands groupes, conception régalienne du pouvoir du manager, tous ces facteurs induisent directement des rigidités individuelles et collectives peu compatibles avec un management efficace ET humaniste. La comparaison avec les pays nordiques, germaniques, ou anglo-saxons est édifiante; dans ces cultures, l’approche du management est bien plus réaliste -(ce qui n’élimine pas les démons) et les débats sur le sujet sont notablement différents alors que la nature humaine est la même partout. Il y a bien sûr en France des entreprises et des managers qui sont excellents. Leur mérite est d’autant plus grand qu’ils partent avec un handicap culturel collectif.

    Une dernière remarque sur le MPO. Dans son essence, le MPO, en particulier associé à la notion de “cascaded balanced score card”, est un outil extraordinaire pour créer de la cohésion tout en favorisant l’autonomie. Si le MPO finit par représenter exactement le contraire: rigidité et bureaucratie, c’est qu’il est (très) mal utilisé. C’est une situation fréquente mais en aucun cas inéluctable. Tout dépend de la qualité du management!

  3. @ Dussaucy : Un des problèmes de l’enseignement du management est de savoir comme partir de la “vraie vie”, et en particulier comment utiliser l’expérience des managers comme ressource pédagogique (en formation continue, évidemment ! Mais peut-on enseigner le management à des personnes qui ne l’ont jamais pratiqué ?). Personnellement, je trouve que la démarche de Mintzberg, à Mc Gill notamment, est vraiment intéressante et prometteuse. D’accord ?

  4. @ Olivier : Merci du compliment et des compléments auxquels j’adhère à 100%.
    Je suis également d’accord sur le fait que le MPO est exigeant en termes de management, mais il me semble comporter, dans son essence même, des caractéristiques plus complétement adaptées aux conditions d’exercice du management dans le monde d’aujourd’hui. Et cela n’est pas étonnant dans la mesure où il a plus de 50 ans !

  5. bonjour,
    je me suis reconnu dans une partie de ce billet mais je ne le partage pas entièrement. à mon sens, il manque un élément essentiel : le manager est celui qui montre le chemin. il se doit d’avoir une vision claire sur les cibles que l’équipe devra atteindre. après, il pourra jouer le rôle de facilitateur décrit dans le billet mais il me semble que sa valeur première consiste à guider ses collaborateurs en les faisant adhérer (plus ou moins facilement) à ses ambitions. le reste est une panoplie d’outils plus ou moins efficace. l’efficacité reelle passant, à mon sens, par le comportement et l’état d’esprit, deux éléments qui ne s’apprennent pas dans les livres.
    le manager doit donc se poser une question principale : quel manager veut il être ? quand il aura la réponse à cette question, il se dotera des outils pertinents.

  6. @ celemar : vous avez raison, c’est d’ailleurs la distinction que font certains auteurs (Bennis, Kotter,…) entre le manager (celui qui fait bien les choses) et le leader (celui qui fait les bonnes choses). Sauf que, dans la “vraie vie”, combien de managers sont véritablement en mesure d’avoir une vision du futur ? Combien de managers sont véritablement en mesure d’éclairer le chemin de leurs collaborateurs ? Ils sont, de mon point de vue, peu nombreux. Moins parce qu’ils n’en sont pas capables que parce qu’ils n’en ont pas les moyens compte tenu de la complexité (incertitude, situations inédites, paradoxes, changement permanent,…) des environnements dans lesquels ils décident. Ils sont, me semble-t-il, plus (et de plus en plus) en situation de réaction qu’en situation d’anticipation.

  7. Bonjour,

    Quel plaisir de trouver un blog dans lequel on ne marche pas sur la tête. Il me semble, en tant qu’accompagnant qu’il est important de préparer au management très en amont d’une prise de poste et que la réflexion autour de ce métier à part entière est longue et ne peut être que personnelle. Notre rôle est de donner les pistes pour faire d’un fil une poutre pour ces futurs funanbules de manager, pour leur permettre de ne pas perdre l’équilibre trop souvent.

  8. @ Daziron : J’aime beaucoup votre image du fil et de la poutre. Par ailleurs, je suis 100% d’accord avec vous. En particulier dans le contexte actuel, on n’est pas manager, on le devient et on a jamais fini de le devenir et de le redevenir. Etre manager, c’est entrer dans un processus d’adaptation et d’évolution permanente. C’est donc nécessairement long (voire sans fin) et personnel.

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