Conditions d’exercice du management : les évolutions sociologiques

Conditions d’exercice du management : les évolutions sociologiques

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Au sein de l’entreprise aussi, l’autorité est en crise. Quelques manifestations de cette crise : le manager n’est plus un chef, mais un animateur ; les membres de son équipe ne sont plus ses subordonnés, mais ses collaborateurs,… Ces évolutions ne sont pas que sémantiques. Elles illustrent une évolution profonde du rapport à l’autorité. La nature des relations parents-enfants, maître-élèves ont évolué. L’entreprise ne fait pas exception. Les salariés ne tremblent plus devant leur chef. Ils ne rougissent plus quand ils leur adressent la parole. Ils leur demandent des explications et n’appliquent plus mécaniquement leurs ordres. Ils osent leur dire non et parfois les contredire. Le chef est devenu quelqu’un comme tout le monde. Il est désacralisé.

D’où vient la légitimité des managers ?

Aujourd’hui, les managers ne trouvent pas plus leur légitimité dans le statut qu’ils ne la trouve dans la technicité. Mais cette légitimité, d’où peuvent-ils bien la tirer ? L’autonomie et l’individualisme croissants des individus rendent la relation manageriale à la fois plus complexe et plus simple. Plus complexe parce que le recours à des arguments d’autorité sort du champ des possibles. Plus simple parce que l’ensemble de ces évolutions (et pas seulement des évolutions sociologiques) concourent à rendre la relation manageriale plus contractuelle. Qu’est-ce que concrètement cela veut dire ? On recourt généralement à la notion de contrat pour encadrer, structurer, organiser, une relation entre deux parties dans laquelle il y a une réciprocité. Le contrat traduit un engagement réciproque. Passer un contrat, c’est négocier puis formaliser une partie au moins des résultats de cette négociation afin d’engager mutuellement les deux parties.

La logique de l’honneur

En France, contrairement aux Etats-Unis, la relation hiérarchique repose culturellement moins sur la logique contractuelle que sur celle de l’honneur soutient Philippe D’Iribarne. L’honneur est un préjugé, prescrivant des devoirs et permettant de défendre des privilèges, lié au rang que l’on tient en société ou dans l’entreprise. On comprend aisément l’incompatibilité de la notion de contrat avec ce trait culturel. Cependant, une culture est dynamique. Elle évolue au fil du temps. Or, aujourd’hui, la notion de contrat est dans l’air du temps. Depuis quelques années, elle se développe à la fois dans les pratiques, les théories et les comportements.

Les pratiques qui se recommandent du contrat se multiplient

Les contrats de mariage, de travail, d’assurance, d’entretien, de sous-traitance,… font largement partie de notre vie quotidienne. Contrat d’insertion, de plan, d’objectifs et de moyens, d’intérim, local de sécurité,… sont parmi quelques-unes des nouvelles formes contractuelles qui se développent aujourd’hui. Les pratiques, qui se recommandent du contrat, se multiplient dans différents secteurs de la société, y compris dans l’entreprise (par exemple la contractualisation interne).

Parallèlement, la notion de contrat pénètre d’autres disciplines que le droit, sa discipline d’origine : économie, sociologie, psychologie,… Par exemple, la notion de contrat est utilisée par les économistes pour analyser les coordinations interindividuelles comme des problèmes d’organisation de l’échange. Coordonner consiste à permettre la réalisation de transactions pour transformer une allocation de ressources non désirée en une allocation de ressources désirée. Les contrats évoqués par les économistes ne sont pas forcément des contrats « écrits », des documents juridiques. La notion désigne des accords interindividuels qu’ils soient écrits ou non, explicites ou implicites.

Les jeunes ont un rapport plus contractuel à l’entreprise

Les comportements aussi évoluent. « Les jeunes ont un rapport plus contractuel à l’entreprise » entend-t-on souvent dans la bouche des DRH. Le contrat de travail classique, où l’entreprise achète une force de travail qu’elle utilise comme elle l’entend, devient une forme de contrat parmi d’autres. L’entreprise achète aussi des compétences (contrat d’intérim) ou des résultats exprimés sous la forme de missions (c’est l’esprit du projet de contrat d’activité). Ce faisant, elle inscrit la relation avec ses salariés dans un cadre plus contractuel. Rien d’étonnant à ce que le comportement des jeunes évolue. D’une certaine manière, c’est ce qu’on attend d’eux. S’ils ont des relations plus contractuelles avec l’entreprise, pourquoi en irait-il autrement avec leur responsable hiérarchique ?

En effet, pourquoi ces évolutions ne concerneraient-elles pas non plus la relation de management ? Pourquoi ne pas chercher à aller vers un management plus contractuel ? D’ailleurs, la notion de contrat n’apparaît-elle pas dans les pratiques de management depuis quelques années déjà ? On parle de contrat d’objectifs, de contrat compétences, de contrat de progrès, de développement,… On sent bien que cette notion correspond à une certaine réalité de la relation manageriale. Elle est intéressante par rapport à l’idée de réciprocité. Un contrat formalise un engagement réciproque : l’engagement des managés, comme celui des managers !

Une double redistribution des relations de pouvoir

Les évolutions économiques, techniques, organisationnelles et sociologiques se traduisent par une double redistribution des ressources de pouvoir : une diminution des ressources formelles possédées par les managers (délégation d’une autorité hiérarchique à faire appliquer les règles et à contrôler les moyens) et, conjointement, une augmentation des ressources informelles possédées par leurs collaborateurs (informations et compétences). Ce double mouvement produit des effets sur la relation manageriale d’une autre ampleur que ce que prête à penser la crise dite de l’autorité. Entre manager et managés, la relation de pouvoir n’est plus univoque, mais réciproque. Dans ce cas, l’engagement des deux parties devient nécessairement réciproque. Le collaborateur s’engage auprès du manager à fournir telle ou telle contribution. En échange, le manager s’engage auprès du collaborateur sur telle ou telle rétribution. Contribution et rétribution constituent les deux volets de l’échange de la relation de management.

Cependant, telle qu’utilisée à l’heure actuelle en management, la notion de contrat est encore relativement creuse. Faute d’un contenu plus consistant, il ne faudrait pas que le contrat devienne un « mot valise » dans lequel chacun y met ce qu’il veut. Pire, il ne faudrait pas non plus que la notion du contrat soit utilisée pour qualifier des pratiques qui n’ont rien de contractuelles. Il y a du côté du contrat une véritable piste pour les années à venir, mais du chemin reste encore à parcourir… et ce chemin est semé d’embûches.

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