Une double redistribution des ressources de pouvoir

Une double redistribution des ressources de pouvoir

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Le pouvoir, sujet d’un billet précédent, un mot qui fâche, une notion encore taboue ! Pourtant, il est au cœur de la relation de management comme il est au cœur de beaucoup de relations interindividuelles. Ce n’est pas bien ou mal en soi, c’est un fait. En tenir compte, ne pas le nier, ne peut que permettre de mieux appréhender les choses.

Les évolutions techniques et organisationnelles de ces dernières années se traduisent par une double redistribution des ressources de pouvoir : une diminution des ressources formelles possédées par les managers et, conjointement, une augmentation des ressources informelles possédées par leurs collaborateurs. Ce double mouvement produit des effets sur la relation managériale d’une autre ampleur que ce que prête à penser la crise dite de l’autorité.

De “nouveaux” mots d’ordre

Raccourcissement des lignes hiérarchiques et structure plate, transversalité et processus, organisation en réseau et par projet, polyvalence et groupes autonomes, décentralisation et subsidiarité,… sont les principaux mots d’ordre des deux dernières décennies en matière d’organisation et de management. Ces évolutions sont des traductions concrètes d’une tendance de fond : la transversalité.

Dans une organisation traditionnelle, on attend fondamentalement des salariés qu’ils respectent des règles, procédures, modes opératoires,… définis par d’autres. L’autonomie reconnue à ceux qui agissent, par opposition à ceux qui pensent, est limitée. On entretient même pendant un temps le fantasme bureaucratique de la faire disparaître complètement. En jouant avec et sur les règles, chaque salarié arrive cependant toujours à se reconstituer un minimum de marge de liberté. Mais cette dernière est clandestine, c’est-à-dire non reconnue au sein de l’organisation.

Des salariés multi-appartenants

Là où les organisations traditionnelles sont parcellisées et verticalisées, on cherche à développer la transversalité et le travail de groupe dans des structures en réseau et par projet. De spécialisés et mono-activité, les salariés deviennent polyvalents, multi-appartenants et dépendants davantage les uns des autres pour remplir leur mission réciproque : rattachés à une ou plusieurs unités d’organigramme, par exemple dans le cadre de structures matricielles, ils contribuent à différents processus, participent simultanément à plusieurs projets,…

L’autonomie, nécessairement gagnée par des salariés multi-appratenants, se justifie du fait de l’incapacité de prévoir et de prescrire l’ensemble des situations que l’individu est susceptible de rencontrer dans l’exécution de son travail. Pour apporter des solutions à des problèmes de plus en plus diversifiés, faire face aux aléas d’environnements de moins en moins prévisibles, le tout sous forte contrainte d’urgence et de coût, les organisations « modernes » cherchent, sous diverses formes, à réunir ce que Taylor avait séparé : la conception et l’exécution du travail. Le travail est moins standardisé par les procédés, plus par les résultats. Les règles sont moins prescriptives. Ce faisant, pour le gardien de leur application, c’est-à-dire le manager, elles sont des leviers d’action moins judicieux pour orienter les comportements.

Le manager n’est plus un portier

Dans une structure verticale, l’information descend et remonte le long de la ligne hiérarchique. Le manager a un rôle de relais. C’est un portier. L’information passe nécessairement par lui. Mettre de la transversalité dans une structure, c’est permettre à des individus appartenant à des unités relevant de directions différentes de travailler ensemble et donc d’échanger des informations. Ce faisant, les informations possédées par les managés ne leur sont pas forcément fournies par leur manager. Ils ont accès à des informations de plus en plus nombreuses que leur manager peut ne pas posséder.

Ce phénomène structurel de partage de l’information est renforcé par le développement des technologies de l’information et de la communication qui permettent à tout le monde de bénéficier de la même information. L’information circule plus librement au sein de communautés au moins autant transversales que verticales. Les managers sont même parfois moins bien équipés que leurs collaborateurs ou savent moins bien utiliser les fonctions de leur matériel. En outre, on ne s’étonne plus de voir quelqu’un s’adresser par e-mail directement à une autre personne se situant plusieurs niveaux hiérarchiques au-dessus de lui. Au contraire, se comporter de la sorte est preuve de réactivité et donc de performance. Souvent, le Top management valorise ce type de comportement. On n’attend plus de la hiérarchie qu’elle joue systématiquement son rôle de filtre, lequel devient plutôt synonyme de rigidité.

Le double visage de la compétence

La gestion des compétences est à la mode. Des entreprises, de plus en plus nombreuses, cherchent à sortir d’une logique de poste (les salariés sont gérés, et en particulier rémunérés, en fonction du poste qu’ils tiennent) pour entrer dans une logique de compétences (les salariés sont gérés en fonction de leur profil de compétences). Le développement des compétences individuelles est à la fois au cœur de la compétitivité des entreprises et de l’employabilité de leurs salariés. Ce refrain revient comme un leitmotiv dans la bouche des DRH. On oublie cependant trop souvent que la compétence a, tel Janus, un double visage : autonomie et adaptation d’un côté, pouvoir de l’autre. Développer les compétences de ses collaborateurs, c’est aussi leur accorder davantage de pouvoir.

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