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Le management par les compétences : un modèle adapté au monde de la recherche

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La recherche est un domaine qui souffre d’un manque cuisant de management. Les managers sont fréquemment adeptes du laisser-faire. Ils sont en position de management, de responsabilité hiérarchique, mais ne managent pas vraiment. Ne leur jetons pas la pierre trop rapidement. Leur comportement s’explique moins par leurs dispositions personnelles que par la situation dans laquelle ils se trouvent : les leviers dont ils disposent sont insuffisants ou pas adaptés.

Des chercheurs ou des trouveurs ?

Quand on cherche, il est difficile de savoir a priori ce qu’on va trouver, en particulier s’il s’agit de recherche fondamentale. « Qu’allez-vous trouver ? » demande à un chercheur un directeur administratif peu au fait des problématiques de la recherche. « Si je le savais, j’arrêterais de chercher », répond ironiquement le chercheur. Dans le domaine de la recherche, les résultats à atteindre sont peu formalisables au-delà de l’énoncé de quelques grandes lignes directrices ; les comportements peu prescriptibles en dehors des quelques protocoles de recherche.

Donc, à la tête d’une équipe de chercheurs, un responsable hiérarchique manage par les compétences ou ne manage pas du tout. En particulier, il cherche à créer des collectifs de travail en combinant des compétences qui ne l’avaient pas été jusque-là, dans la mesure où c’est au carrefour des « sentiers battus » que se nichent nouveautés et innovations.

Le cas d’une unité de recherche du CNRS

Cette unité de recherche du CNRS dans le domaine des sciences de la vie compte aujourd’hui une cinquantaine de personnes. Crée en 1997, elle connaît une forte croissance et est considérée comme particulièrement performante. Son directeur est, lui, reconnu pour sa capacité à manager des chercheurs, en particulier. Son unité est composée de trois équipes distinctes centrées sur des domaines de recherche connexes. L’unité est évaluée tous les quatre ans sur la base des publications : leur nombre, mais aussi le rang des revues scientifiques dans lesquelles elles sont parues.

Le projet quadri-annuel de l’unité est élaboré de manière participative. Le directeur définit le cadre, donne le « la », puis chacun des chefs d’équipe proposent des projets de recherche. Certains sont propres à leur équipe, d’autres transversaux à l’unité. L’ensemble, discuté, travaillé, négocié, puis amendé de manière collective, donne lieu à la rédaction d’un document d’une centaine de pages précisant le plan de travail de l’unité. Les équipes sont composées, puis recomposées au gré des projets.

Sortir des sentiers battus

Le travail de groupe est un passage obligé, une nécessité. Les projets de recherche, de par leur complexité, exigent compétences et énergie qu’aucun chercheur ne peut posséder à lui seul. Les projets transversaux permettent de constituer des équipes multidisciplinaires, de bâtir des combinaisons de compétences originales pour sortir des « sentiers battus », et, ce faisant, déboucher sur des innovations et pas seulement sur la nième variantes de la même expérience.

Par ailleurs, le directeur insiste sur la circulation et la transparence de l’information au sein de l’unité, sur le décloisonnement des équipes et la mobilité des compétences. Pourquoi ? De son point de vue, les chercheurs sont surqualifiés, sous-payés et curieux. Leur motivation n’est pas l’argent (sans quoi ils feraient autre chose), la carrière (très peu deviennent directeur), mais le fait de comprendre « comment ça marche ». Le problème fondamental du chercheur sur le long terme ? S’enfermer dans un domaine, ne plus en sortir, « creuser son sillon » de plus en plus profondément et s’apercevoir un jour qu’il est prisonnier d’une problématique de recherche devenue stérile. Il faut donc lui donner la possibilité de respirer, se renouveler, se régénérer en entretenant sa curiosité.

L’acceptation du risque et le flou

Deux conditions sont nécessaires en plus de la circulation des compétences et de la transparence de l’information. La première concerne le risque. Le chercheur doit pouvoir se tromper, ne pas aboutir. Toute la journée, il se pose des questions auxquelles il n’a pas de réponse et, compte tenu de l’état des connaissances, n’est pas près d’en avoir. Dans ce contexte, sans risque, pas d’avancée significative. Avoir le droit de se tromper, d’emprunter des « voies de garage »,… tout cela est possible quand, bien évidemment, la pression budgétaire n’est pas trop pesante.

La seconde condition est liée au flou. L’unité doit être « mal » organisée ; dans tous les cas, organisée de manière sous-optimale. Il doit rester du flou, de la désorganisation pour permettre aux chercheurs de se rencontrer au gré des opportunités, par définition imprévues puisque pas prévisibles. Une trop « bonne » organisation, trop efficiente, diminue le potentiel d’innovation.

Le manager : un attracteur étrange

Dans tout cela, le directeur est à la fois un chef d’orchestre, un aiguilleur et un mécanicien qui met de l’huile dans les rouages de la machine pour qu’elle fonctionne. Selon ses propos, c’est plus un « attracteur étrange » qu’un véritable leader, sachant que, en matière de recherche, une direction trop précise est plus contre-productive qu’autre chose.

Il y a dans le management de la recherche, et plus largement dans le management par les compétences, un côté flou, mal organisé,… bref, une grande part d’informel à laquelle il convient de « laisser vivre sa vie », parfois en dehors de toute hiérarchie.

Réseaux spontanés et communautés de pratiques

« Dans un monde de la recherche qui se caractérise de plus en plus par une combinaison à l’infini des différentes disciplines, la gestion des connaissances passe donc de plus en plus par la constitution d’équipes. Qu’elle soit organisée sous forme d’équipes de projet internes dans les grands groupes ou de partenariats commerciaux dans les start-up, seule cette confrontation d’idées permet d’éviter la sclérose et de se maintenir au plus haut niveau. Mais cette capitalisation des savoirs prend aussi parfois la forme de réseaux spontanés de chercheurs spécialistes d’un thème donné.

« Ces communautés de pratiques fonctionnent, par exemple, sur l’envie de démêler un problème commun, mais en marge de l’organisation hiérarchique et de tout reporting, observe Paul-Joël Derian, vice-président chargé de la recherche à Rhodia. A charge pour le management de les laisser vivre et de ne surtout pas s’en mêler. De toute façon, il lui serait impossible de les créer de toutes pièces sans que cela s’apparente à de véritables usines à gaz », explique-t-il ».

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