Portrait d’un anti-leader

Portrait d’un anti-leader

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A la suite du départ à la retraite de Monsieur Durand, Monsieur Dupont prend la direction générale de l’entreprise X, société familiale du secteur des services. Dès son arrivée, Monsieur Dupont est déboussolé par le fonctionnement de l’entreprise X. Il vient du secteur industriel et connaît peu, pour ne pas dire pas du tout, le secteur des services. Il a du mal à trouver ses marques et ne comprend pas bien ses nouveaux collaborateurs. On a même parfois un peu le sentiment qu’ils lui font peur. Du coup, il ne prend pas véritablement le temps de les écouter. Rapidement, il se fait une opinion : les salariés de l’entreprise X sont des « bon à rien ». Il faut changer, faire autrement. Il recueille quelques idées de changement auprès des actionnaires, mais des idées trop floues et trop éparses pour constituer un véritable projet alternatif au précédent.

Monsieur Dupont n’est pas un grand communicateur

Deux mois après son arrivée, il présente sa nouvelle stratégie aux salariés. Mais Monsieur Dupont n’est pas un grand communicateur. Lors de la présentation, il est tendu, « bafouille », lit son texte sans réellement être naturel. Bref, son message n’est pas clair et ne passe pas bien. De cette première « grand messe », les salariés ressortent culpabilisés, avec le sentiment qu’ils doivent changer (ils en déduisent que, jusque-là, ils ne travaillaient pas bien), mais sans réellement savoir ni pourquoi ni comment.

Il n’y a pas qu’un problème de forme. Monsieur Dupont n’a pas réellement de projet pour l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que commencent à lui reprocher un certain nombre de salariés, rapidement accusés d’être résistants au changement. Vient alors une idée à Monsieur Dupont : « puisqu’on m’accuse de ne pas avoir de projet pour l’entreprise, je vais élaborer un plan stratégique de manière participative, en associant les salariés les plus moteurs ». Le travail s’étale sur plus de six mois. Le plan donne des idées, précise des moyens d’action, mais ne débouche toujours pas sur un projet mobilisateur qui « fait sens » pour les salariés de l’entreprise. Le plan est présenté puis validé par le conseil d’administration. Dès lors, le projet de Monsieur Dupont, celui que les salariés l’accusent de ne pas avoir, c’est de… mettre en œuvre le plan.

Monsieur Dupont s’appuie sur le Conseil d’Administration

Pour faire avancer les choses, à chaque fois qu’il est en manque de légitimité, Monsieur Dupont s’appuie sur le Conseil d’Administration. « Il faut réduire les frais de fonctionnement de x%» affirme-t-il au sein de son comité de direction. « Pourquoi ? » lui lance l’un de ses collaborateurs les plus proche, « les résultats ne sont pas si mauvais ». « Parce que le conseil d’administration l’a demandé » répond sèchement Monsieur Dupont. « Comment allons-nous argumenter ce nouvel effort auprès des salariés » renchérit son collaborateur. « Vous n’avez pas compris. Nous n’avons pas le choix, c’est une demande du conseil d’administration. Or, une demande du conseil d’administration, cela ne se discute pas. Il décide, on exécute » conclut-il en mettant fin à la discussion.

L’entreprise perd progressivement ses salariés les plus précieux et les plus fidèles. Souvent, ils quittent l’entreprise pour aller à la concurrence. « Depuis l’arrivée de Monsieur Dupont, l’entreprise X n’est plus ce qu’elle était. Elle a perdu son âme. On ne s’y retrouve plus » avouent les partants. L’un d’eux va plus loin : « ce n’est pas moi qui ait quitté l’entreprise X ; c’est l’entreprise X qui m’a quitté ». Après deux ans de mise en œuvre, la stratégie adoptée n’a pas plus de sens qu’elle n’en avait au départ. Mais les résultats économiques ne sont toujours pas mauvais. Monsieur Dupont, sans concertation aucune, a embauché un « cost killer » qui « passe au peigne fin » chacune des dépenses. « Il faut se serrer la ceinture. La pérennité de l’entreprise est en jeu » justifie Monsieur Dupont. Cependant, sur le moyen terme, l’agilité et la persévérance du « cost killer » ne compense plus le manque de mobilisation des salariés, l’efficience ne pouvant se substituer trop longtemps à l’efficacité. Les résultats ne sont plus au rendez-vous. A la demande du Conseil d’Administration, faute de résultats suffisamment significatifs, Monsieur Dupont quitte l’entreprise X quatre ans après son arrivée.

Monsieur Dupont échoue dans sa fonction par manque de leadership

Monsieur Dupont ne manque pas d’énergie, d’intelligence et d’expérience. Il échoue dans sa fonction par manque de leadership. Celui-ci s’exprime de plusieurs manières. Il n’a pas de vision claire et enthousiasmante pour l’entreprise X et quand, malgré tout, il définit quelques éléments d’orientation, il n’arrive pas à les exprimer positivement aux salariés. Monsieur Dupont n’est pas légitime aux yeux de ses salariés. Il tire son autorité uniquement du Conseil d’Administration sur lequel il s’appuie pour faire accepter ses décisions. Ses collaborateurs font ce qu’il leur demande de faire simplement parce qu’il est le « chef ».

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