Une organisation traditionnelle est pensée comme une cascade de pyramides hiérarchiques. Une organisation agile, elle, s’apparente d’abord et avant tout à une mosaïque d’équipes auto-organisées. La première question qui se pose quand on veut passer d’une organisation traditionnelle à une organisation agile est ainsi de savoir comment transformer des pyramides hiérarchiques en équipes auto-organisées.
D’abord une question de responsabilité de la performance
Dans une pyramide hiérarchique, la responsabilité de la performance collective est individuelle. C’est le manager qui rend des comptes sur la performance de l’entité dont il a la responsabilité. A contrario, une équipe est un groupe de personnes qui interagissent entre elles pour produire une performance dont elles sont mutuellement responsables. Au sein d’une équipe, donc, la responsabilité de la performance collective est collective. L’équipe est dite auto-organisée quand les co-équipiers décident par eux-mêmes, non pas des objectifs de l’équipe, mais de la manière de les atteindre.
Pour faire transformer les entités opérationnelles d’une organisation traditionnelle de pyramides hiérarchiques en équipes auto-organisées, il est nécessaire d’opérer un mouvement sur 2 axes différents et complémentaires : (1) leur autonomisation vis-à-vis des services support (finances, ressources humaines, qualité…) ; (2) le partage de la fonction de management en leur sein.
Autonomisation des entités opérationnelles
Dans une entreprise organisée comme une cascade de pyramides hiérarchiques, on dissocie très clairement les activités au cœur de la chaîne de valeur, confiées aux entités opérationnelles, et les activités de soutien allouées, elles, aux services support. Sur l’axe de l’autonomisation, un premier temps vers des équipes auto-organisées consiste à confier certaines activités de soutien, jusque-là réalisées par les services support, aux entités opérationnelles. Comme dans un processus classique de délégation, les services support ne réalisent plus directement les activités de soutien mais continuent à en porter la responsabilité. En conséquence, grâce à une autorité dite fonctionnelle, ils exercent un contrôle sur la manière dont les entités opérationnelles réalisent ces activités de soutien.
Le second temps sur l’axe de l’autonomisation consiste à basculer la responsabilité des activités de soutien aux entités opérationnelles et à transformer l’autorité fonctionnelle des services support en autorité dite de compétence. De cette manière, les services support accompagnent les entités opérationnelles mais n’exercent plus aucun contrôle. Les entités opérationnelles deviennent responsables de l’ensemble de la performance, c’est-à-dire à la fois de l’efficacité (les résultats produits) et de l’efficience (l’optimisation des ressources), sans plus aucune ingérence, en matière d’autorité au moins, des services support.
Dès lors, la relation client/fournisseur entre les entités opérationnelles et les services support est, on ne peut plus, claire. Les seconds sont au service des premières qui portent la responsabilité pleine est entière de leur performance.
Partage de la fonction de management
Le second axe qui permet de transformer les pyramides hiérarchiques en équipes auto-organisées concerne le partage de la fonction de management au sein des entités opérationnelles.
Au sommet d’une pyramide hiérarchique se trouve un manager doté d’une autorité hiérarchique. Le premier temps de partage de la fonction de management consiste à transformer le manager en leader, c’est-à-dire à le dessaisir de son autorité hiérarchique et à faire en sorte qu’il ne soit plus nommé par l’institution mais coopté par ses pairs. Le leader continue à exercer l’ensemble de la fonction de management mais, là où les collaborateurs étaient au service de leur manager, la relation s’inverse : le leader est au service de ses coéquipiers.
Dans un second temps, la fonction managériale exercée par le leader est décomposée en rôles de management (animation d’équipe, pilotage de l’activité, développement des compétences…). Ces derniers sont distribués au sein de l’équipe. En plus d’un ou plusieurs rôles de production, les coéquipiers tiennent un rôle de management. Ainsi, la fonction de management se trouve bien partagée entre l’ensemble des coéquipiers.
Pas de « one best way » mais un chemin préférentiel
Pour transformer une pyramide hiérarchique en équipe auto-organisée, une entité opérationnelle doit ainsi opérer un mouvement sur ces deux axes qui comportent chacun trois niveaux.
Les trois niveaux de l’axe « Autonomisation vis-à-vis des services support » sont :
- Niveau 1 : les activités de soutien sont réalisées par les services support ;
- Niveau 2 : les activités de soutien sont réalisées par les entités opérationnelles mais les services support continuent à en porter la responsabilité et, à ce titre, contrôlent leur réalisation grâce à une autorité fonctionnelle ;
- Niveau 3 : les activités de soutien sont de la responsabilité des entités opérationnelles, les services support les accompagnent grâce à une autorité de compétence.
Les trois niveaux de l’axe « Partage de la fonction de management » sont :
- Niveau 1 : le manager, doté d’une autorité hiérarchique, exerce l’ensemble de la fonction de management ;
- Niveau 2 : le leader continue à exercer l’ensemble de la fonction de management mais sans autorité hiérarchique d’une part, en étant coopté par ses pairs d’autre part ;
- Niveau 3 : la fonction de management est décomposée en rôles distribués entre l’ensemble des coéquipiers.
Il n’y a pas de « one best way » pour progresser sur ces deux axes mais un chemin préférentiel composé de 6 étapes dans une logique d’escalier.
La première étape consiste à formaliser la vision de la future équipe tout en restant, à ce stade, dans une logique pleine et entière de pyramide hiérarchique. Il s’agit de définir la mission de l’équipe (sa finalité, mais aussi de préciser pour qui elle travaille et sur quel périmètre de responsabilité), son ambition (ce que l’équipe souhaite devenir dans l’absolu et de manière réaliste), ses valeurs (les valeurs que les coéquipiers doivent partager pour remplir la mission de l’équipe et tendre vers son ambition) et ses règles de vie (les règles que les coéquipiers s’engagent à respecter pour fonctionner correctement et de manière harmonieuse en équipe).
La deuxième étape consiste à passer du niveau 1 au niveau 2 sur l’axe de l’autonomisation. Il convient ainsi d’identifier un certain nombre d’activités de soutien, réalisées par les services support, qui pourraient être confiées aux entités opérationnelles. Cela peut et doit se faire de manière progressive.
La troisième étape vise à passer du niveau 1 au niveau 2 sur l’axe partage de la fonction de management. Cela consiste à transformer les managers en leaders principalement en les aidant à faire évoluer leur posture et/ou en mettant en place un processus de cooptation au sein des équipes.
La quatrième étape consiste à passer du niveau 2 au niveau 3 sur l’axe autonomisation. Les activités de soutien, confiées aux entités opérationnelles, sont de plus en plus nombreuses et les services support changent, à leur tour, de posture : ils passent du contrôle à l’accompagnement, d’une autorité fonctionnelle à une autorité de compétence.
La cinquième étape vise à passer du niveau 2 au niveau 3 sur l’axe partage de la fonction de management. Les leaders disparaissent et les rôles de management sont distribués entre l’ensemble des coéquipiers.
La sixième et dernière étape consiste à consolider les modes de régulation de l’équipe pour pérenniser son fonctionnement auto-organisé. Il s’agit de reprendre les éléments de la vision formalisés lors de l’étape 1 (mission, ambition, valeurs et règles de vie), de les actualiser au regard du trajet parcouru et de préciser les modalités de leur suivi dans le temps.
Des prolongements de ce billet se trouvent dans mon dernier ouvrage “S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise” consacré à l’organisation cellulaire. Vous pouvez accéder à une présentation détaillée de l’ouvrage en cliquant ici.
En abolissant l’ancien modèle hiérarchique, on peut entrainer aussi des effets pervers liés à un stress et une anxiété dus à la hausse des responsabilités et de l’autonomie, des risques individuels liés à l’excès d’implication et d’engagement : ” Les risques psychosociaux des nouvelles structures organisationnelles des entreprises ” : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/les-risques-psychosociaux-des-nouvelles-structures-organisationnelles-des-entreprises