Le terme « phygital », contraction des mots “physique” et “digital”, jusque-là réservé au domaine du marketing pour qualifier un point de vente physique qui intègre les données et méthodes du monde digital, concerne dorénavant l’ensemble de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle je parle d’entreprise phygitale.
Passer d’un télétravail contraint et bricolé à une véritable entreprise phygitale permettant de tirer le meilleur parti des deux modalités de travail, le présentiel et le distanciel, ne se décrète pas. Cela nécessite une véritable transformation de l’entreprise. Pourquoi devenir une entreprise phygitale et comment s’y prendre ?
Na pas commettre une seconde fois la même erreur
Malgré le déploiement de nombreux programmes et beaucoup d’argent dépensé, la transformation digitale des entreprises débouche le plus souvent sur des résultats décevants. Elle en est même restée parfois seulement au stade des déclarations d’intention. Pourquoi ? Parce que la transformation digitale a trop fréquemment été déconnectée de la transformation de l’organisation.
C’était le sujet d’un premier billet en 2016 puis d’un second en 2018 : il ne peut pas y avoir de transformation digitale sans transformation de l’organisation, et inversement d’ailleurs. Ne commettons pas la même erreur une seconde fois avec le télétravail.
L’organisation comme porte d’entrée
Le développement du télétravail, inéluctable à l’issue de la crise sanitaire que nous traversons, et l’évolution du mix présentiel/distanciel qui en découle, sont une formidable opportunité pour modifier en profondeur les organisations : moins de hiérarchie et de silos ; plus d’autonomie, de responsabilité, de transversalité, de subsidiarité et d’agilité.
En même temps, une profonde modification des organisations est une condition sine qua non de la conception de véritables entreprises phygitales en capacité de tirer le meilleur parti des deux modalités de travail, présentielle et distancielle. Il n’y aurait rien de pire pour l’avenir que de reproduire en distanciel ce que l’on faisait jadis en présentiel. Non seulement l’entreprise n’aurait de phygitale que le nom mais, en plus, elle risquerait de subir les inconvénients des deux modalités sans profiter de leurs avantages : mauvaise circulation de l’information, difficultés de coordination, multiplication des réunions, fragilisation des collectifs de travail, individualisation des performances, augmentation des risques psychosociaux…
Devenir une véritable entreprise phygitale nécessite d’appréhender le distanciel et le présentiel dans une relation qu’Edgar Morin qualifie de dialogique, c’est-à-dire dans leur dimension à la fois opposée et complémentaire. A l’image du Yin-Yang, présentiel et distanciel doivent pouvoir dépasser leur dualité pour former une véritable unité. Il s’agit de trouver le bon dosage entre les deux modalités de travail mais également de penser la manière dont elles peuvent se renforcer l’une l’autre de manière à ce que « 1+1=3 ».
Par exemple, nombre d’entreprises ont constaté pendant les différentes périodes de confinement que l’amélioration des modalités du travail collaboratif en présentiel et le renforcement des normes de groupe qui en découle étaient une condition nécessaire à l’efficacité du travail en distanciel. De la même manière, ces mêmes entreprises ont bien noté que l’indispensable discipline des réunions à distance avait substantiellement permis d’améliorer l’efficience de celles conduites en présentiel ; que la nécessité de repenser la structuration des formations à distance avait permis de faire des bons en avant significatifs en matière d’ingénierie des formations en présentiel ; etc.
L’organisation, oui, mais pas seulement
En plus de son organisation, pour devenir phygitale, une entreprise doit prendre en considération quatre autres éléments liés les uns aux autres dans une logique systémique. Les deux premiers sont « hards », les deux derniers « softs ».
Tout comme l’entreprise a mis en place des parcours clients sans couture dans une logique omnicanale, elle doit se doter d’une plateforme digitale qui favorise le travail et la coopération à distance sans rupture par rapport au présentiel. Par ailleurs, elle doit dans le même temps réinventer des espaces de travail permettant de tirer le meilleur parti de la présence de ses salariés sur site, en particulier pour ce qui concerne le collaboratif, la créativité et l’innovation. Mais aussi permettre à ses salariés de minimiser leur temps de déplacement en mettant à leur disposition des tiers-lieux et des espaces de co-working.
En parallèle, l’entreprise doit repenser son système de management et faire évoluer les pratiques managériales en son sein. Les managers doivent adaptés leurs pratiques en y intégrant les exigences du distanciel en matière de réunions, de reporting mais aussi d’écoute et de soutien. Au-delà, un véritable management hybride nécessite une fonction managériale davantage partagée et une évolution de la posture de ceux qui l’exercent : être au moins autant au service des équipes que l’inverse.
Les managers ne sont pas les seuls concernés. L’entreprise doit se préoccuper de l’ensemble de ses ressources humaines et, en particulier, des compétences de ses salariés. Leur capacité à savoir pleinement utiliser les solutions digitales mises à leur disposition mais également leurs « soft skills » pour gagner en autonomie et travailler de manière davantage collaborative : le travail en équipe, la coopération mais aussi le rapport à l’incertitude, à la complexité et au changement permanent.
Une véritable transformation
Devenir une entreprise phygitale résulte moins d’une évolution, qui consiste à faire plus et mieux de la même chose, que d’une transformation. Il s’agit, d’abord et avant tout, de changer de forme et de culture. Ce faisant, la démarche de transformation à déployer doit s’appuyer sur trois piliers.
D’abord, sur chacun des 5 composants (organisation, plateforme digitale, espaces de travail, management et ressources humaines), il convient de dresser un état des lieux en apportant des éléments de réponse aux trois questions suivantes : (1) Que devons-nous continuer à faire ? ; (2) Que devons-nous modifier voire arrêter de faire ? ; (3) Que devons-nous commencer à faire ? Avant d’entamer la transformation, il est primordial d’être au clair sur ce qui ne doit pas changer. Cela permet de savoir sur quoi on peut prendre appui pour pivoter.
Ensuite, il s’agit de constituer un portefeuille de projets et de mettre en place une instance de gouvernance et un dispositif de pilotage dédiés : un comité de transformation, des sponsors pour chacun des projets, des chefs et des équipes projet… Il est fondamental de ne jamais perdre de vue que « pendant les travaux, la vente continue ! » Pendant la transformation, l’entreprise devra continuer à délivrer. Cela nécessite une réallocation de ses ressources et du temps disponible pour chacun des deux processus.
Enfin, la transformation nécessite de mettre l’entreprise en mouvement en créant une dynamique. Les confinements successifs ont permis d’amorcer cette dynamique qu’il faut utiliser comme le surfer prend la vague. Cette dynamique s’entretient en priorisant et en faisant varier le rythme d’avancement des différents projets : aller vite à certains moments pour éviter de s’enliser ; ralentir et donner du temps au temps à d’autres pour permettre l’appropriation. L’entreprise évitera autant que faire se peut les mouvements « on/off ». A chaque arrêt, elle prend le risque de ne pas redémarrer.
Excellent article : simple , précis et qui rappelle les prérequis de nouvelles modalités de travail avec cette période qui nous a obligés à prendre des décisions dans l’urgence, en accompagnant à distance mais cet accompagnement est effectivement à renforcer, à repenser collectivement.
Merci Eric
J’avoue, c’est la première fois que j’entends le terme phygitale. Surement parce qu’au Quebec on utilise d’autres mots?
Merci pour l’article 🙂