De l’art du saupoudrage en matière de rémunération !

De l’art du saupoudrage en matière de rémunération !

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Malgré les leviers à leur disposition (évoqués dans un billet précédent), les managers souhaitent rarement pousser très loin l’individualisation des rémunérations de leurs collaborateurs. Prévenir des revendications salariales au sein de l’équipe ou ne pas faire trop de mécontents semblent pour eux plus important que de récompenser la performance des meilleurs. La rémunération comporte une dimension symbolique trop forte : individualiser, c’est mettre de la différence dans un groupe. Or, cette différence, il faut la justifier, la rendre supportable,…

Le manager y voit plus d’inconvénients que d’avantages. « Donner une augmentation, c’est se donner un délai pendant lequel on n’aura pas de revendications » déclarent certains managers honnêtes. Au moment des augmentations individuelles, le responsable hiérarchique cherche plus à limiter les insatisfactions qu’à favoriser la motivation (voir également un précédent billet).

Des ventres mous ?

La technique du saupoudrage, pratiquée par nombre de managers, est souvent décriée par le service des Ressources Humaines. Pour ce dernier, ceux qui agissent ainsi manquent de courage, sont des « ventres mous »,… Ils ne remplissent pas complètement leur fonction et, ce faisant, contribuent à rendre le système inefficace. Tout le monde finit par avoir la même chose. Et le DRH de déclarer : « autant réinstaurer les augmentations générales ».

Pourtant, du point de vue des managers, le saupoudrage peut très bien être tout à fait rationnel. Ils ont besoin de leurs collaborateurs pour obtenir les résultats dont dépend la performance de leur unité. C’est du reste ce qui les différencie fondamentalement des experts ou techniciens, dont la performance ne dépend que d’eux. Or, compte tenu des contraintes organisationnelles et culturelles avec lesquelles ils doivent composer, des moyens (souvent faibles) à leur disposition pour agir sur le comportement de leurs collaborateurs, ils ont déjà du mal à gérer les tensions au sein de leur équipe. Ils ne vont pas en plus prendre le risque d’en créer d’autres.

Acheter la paix sociale

La situation dans laquelle se trouvent les managers les conduisent le plus souvent, pour parvenir à leurs fins, à acheter un bon climat relationnel avec la rémunération. Le saupoudrage s’explique souvent moins par le manque de courage que par le contexte, moins par les dispositions individuelles à manager que par la situation de management. Vaut-il mieux récompenser les meilleurs et créer de la zizanie dans l’équipe, ou l’inverse ? DRH et managers n’ont pas forcément la même réponse !

Pour comprendre un comportement, nous disent les sociologues, il faut partir de la règle suivante : tout comportement est toujours rationnel pour celui qui l’adopte. Se comporter comme il le fait est, de son point de vue, ce qu’il a de mieux à faire. Qualifier un comportement d’absurde, c’est simplement admettre qu’on n’arrive pas à reconstituer la rationalité de son auteur. Un DRH, qui juge irrationnel le comportement des managers, devrait commencer par reconnaître qu’il ne partage pas la même rationalité qu’eux, puis se mettre en quête de leurs bonnes raisons de saupoudrer.

Une possibilité qui donne du pouvoir

Ne pas faire de différences trop importantes en terme de rémunération entre les membres d’une équipe ne signifie pas ne pas faire de différences du tout. Certains responsables hiérarchiques savent, quand ils en ont besoin, récompenser les meilleurs éléments de leur équipe en jouant sur d’autres types de rétributions que la rémunération, en particulier les rétributions immatérielles. Délégation de responsabilités supplémentaires, aménagement du poste, affectation sur un projet stratégique, arrangement sur les horaires, valorisation du collaborateur au sein et en dehors de l’équipe, accompagnement spécifique sur certaines tâches à risque,… Ils aménagent les contributions attendues. C’est par des activités de suppléance, et de manière souvent clandestine, que les managers trouvent la plupart des solutions aux problèmes de reconnaissance des performances.

Que les managers ne fassent pas de différences trop importantes entre les membres de leur équipe en matière de rémunération n’est pas une raison pour les priver de cette possibilité. Même si leurs marges de manœuvre sont faibles, et quand bien même ils ne les utilisent pas toutes, il est important qu’elles existent. Cela leur donne l’occasion d’aborder le volet des rétributions avec leurs collaborateurs, de ne pas être crédibles seulement sur la définition et le suivi des contributions.

C’est moins la rémunération des performances en elle-même qui donne du pouvoir aux managers que sa possibilité. Ils contrôlent une zone d’incertitude, synonyme de pouvoir (voire le billet sur le pouvoir organisationnel). « Si je me comporte mal, mon chef peut ne pas me louper au moment de l’entretien annuel. Ce n’est pas son style, ni celui de la maison, mais on ne sait jamais » expliquent certains salariés clairvoyants. Le jugement des managers devient alors plus légitime. Pour qu’ils puissent dire « non », il faut leur donner la possibilité de dire « oui ».

Un composant du système de management

La rémunération des performances doit bel et bien être pensée comme un élément à part entière du système de management. Il faut que les managers aient leur mot à dire sur le montant d’augmentation individuelle et/ou de bonus de leurs collaborateurs. Moins parce que la rémunération, comme facteur de motivation, entre directement dans le processus de production des performances, que parce que, dans les mains des managers, elle assoie leur légitimité, leur donne du pouvoir.

Par ailleurs, que les managers saupoudrent ou que les enveloppes pour rémunérer les performances soient réduites ne sont pas de bonnes raisons de renoncer. L’important n’est pas que les performances soient effectivement rémunérées, mais qu’il soit possible de le faire. Moins pour une question de motivation des collaborateurs que de pouvoir des managers.

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