Le management par les objectifs à l’épreuve des faits

Le management par les objectifs à l’épreuve des faits

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Le MPO est appréhendé différemment selon les auteurs : mode d’intégration pour les uns, style de management pour les autres. Dans les entreprises, il a rapidement trouvé son public. En France, il s’est largement développé au cours des années 1970 et 1980. Etre rigoureux nécessiterait de parler des MPO plutôt que du MPO tant les pratiques sont variées. Malgré leur diversité, elles peuvent être rangées dans deux catégories qui rejoignent presque la dichotomie des auteurs.

Le MPO : la colonne vertébrale du budget

Dans la première, le MPO est pensé sur un mode « technocratique » comme la colonne vertébrale du budget. Les objectifs sont exclusivement financiers. La participation, la relation managériale,… sont absentes du dispositif. Au premier chef dans les mains du contrôle de gestion, le MPO se résume à une affaire de chiffres. Les objectifs, déclinés puis fixés unilatéralement, sont synonymes de chiffre d’affaires à réaliser ou, pour les centres de coûts, de budget à respecter. Et de fait, la diffusion du MPO le long de la ligne hiérarchique est concomitante à la décentralisation du contrôle de gestion. Plus celle-ci est importante, plus le MPO « descend bas » dans la hiérarchie : la direction, puis le département, l’établissement, le service, parfois même l’équipe quand sa performance est mesurable en termes financiers.

Dans cette entreprise de biens de grande consommation, le budget est un rite qui génère une grande agitation et de nombreux débats entre les marques, zones géographiques,… L’année est décomposée en cycles commerciaux de deux mois, rythmés par les campagnes promotionnelles. La direction générale fixe des éléments de cadrage ; des pré-budgets, élaborés à partir de prévisions fournies par le marketing, la R&D et la fabrication, sont affinés par les « Affaires », puis agrégés par le contrôle de gestion. Ils sont enfin amendés et entérinés par la direction générale. « Un chiffre, ça se fait », tel est le principal leitmotiv de cette entreprise. Une fois validé, le budget n’est remis en cause sous aucun prétexte. A chacun d’atteindre ses objectifs quoi qu’il arrive, sauf catastrophe majeure évidemment. Si un manager ne « fait pas son chiffre », c’est un échec personnel : toléré une fois, mais pas deux.

Le MPO centré sur la relation managériale

La seconde catégorie rassemble les dispositifs de MPO centrés sur la relation managériale. Leur intention ? Installer un moment d’échange formalisé et privilégié entre managers et collaborateurs. Le MPO est ici pensé comme une relation à deux, l’évaluation des résultats et la fixation des objectifs comme un bon prétexte de dresser un bilan et déterminer des perspectives de travail en commun. Dans cette optique, les objectifs, plus qualitatifs que quantitatifs, concernent le développement des compétences. Le MPO est surtout porté par la Direction des Ressources Humaines, et, dans certains cas, par elle seule. Aucune cohérence n’est recherchée a priori : le dispositif débouche sur un simple « patchwork » d’entretiens bilatéraux peu harmonisés. Il peut alors être confondu avec son expression instrumentale sous les désignations les plus ronflantes, comme si la forme et la fréquence résumaient la finalité. Les entretiens sont autant d’occasions d’ailleurs de parler d’autres choses que d’objectifs : d’activités, de compétences, de formation, de parcours professionnel,… et, « last but not least », de soi-même.

Dans cette entreprise de haute-technologie, chaque site possède son propre dispositif d’évaluation. Les entretiens annuels se déroulent dans le désordre : plutôt du bas vers le haut de la hiérarchie que dans le sens contraire. La direction n’y attache pas beaucoup d’importance. D’ailleurs, ses membres ne montrent pas l’exemple : ils conduisent leurs entretiens, quand ils les mènent, souvent après la date limite indiquée par la Direction des Ressources Humaines. Les objectifs sont fixés à partir des points forts et faibles d’une personne ou d’une équipe, plus que déclinés de la stratégie d’entreprise. L’évaluation est réalisée dans une logique de dialogue et d’ajustement mutuel. Les objectifs sont rarement atteints, mais ne sont pas là pour cela. Les entretiens ne débouchent sur aucune décision de Gestion des Ressources Humaines, surtout pas de rémunération.

Favoriser l’intégration par la standardisation financière ou structurer la relation managériale ? Dans les pratiques, le MPO est rarement les deux à la fois. Ces buts ne sont pas incompatibles, mais ne convergent pas naturellement. Le MPO est au service d’acteurs – la direction générale, les managers le long de la ligne hiérarchique et les directions fonctionnelles – dont les intérêts ne concordent jamais complètement. Les contradictions, surmontées sans difficulté dans les discours – dont le fameux « Penser globalement et agir localement » est l’exemple le plus courant –, le sont plus rarement dans les pratiques. Cela exige une conception de l’autonomie et du contrôle, peu compatible avec la culture de nombre d’entreprises. De l’avis même du fondateur du MPO, c’est souvent là que le bât blesse : « Des centaines d’entreprises ont adopté une politique de gestion par objectifs – bien que seules quelques-unes d’entre elles l’aient poursuivie en passant à un réel contrôle autonome ».

Signe ostentatoire d’une modernité supposée

« Dans le cadre des missions confiées au collaborateur, le responsable hiérarchique exprime annuellement ses exigences relatives aux résultats à obtenir, en cohérence avec le contrat de gestion de l’unité.

Il s’accorde avec son collaborateur sur les objectifs à atteindre. Ces objectifs, sur lequel le collaborateur doit avoir des leviers d’action pour qu’ils soient réalistes et motivants, doivent être mesurables à l’aide d’indicateurs quantitatifs ou qualitatifs pertinents, permettant d’évaluer leur atteinte. A ces objectifs sont associés des ressources mobilisables (temps, budget, ressources humaines,…), des délais et des conditions de suivi.

Les objectifs sont définis en cohérence avec les projets d’entité et de contrats de gestion, et sur la base des actions de progrès identifiées lors de l’appréciation de l’année précédente.

Ils sont exprimés dans une lettre d’objectifs, élaborée à l’issue de l’entretien professionnel individuel.

Il appartient au responsable hiérarchique d’assurer un suivi continu de l’activité de son collaborateur, de l’assister, le guider, afin de favoriser l’atteinte des objectifs et de réaliser au fur et à mesure les ajustements concertés nécessaires. Il s’inscrit en ressource pour son collaborateur, pour lui permettre de progresser vers l’obtention des résultats attendus.

Le responsable hiérarchique et son collaborateur évaluent conjointement l’activité de la période écoulée : contribution du collaborateur, résultats obtenus et, pour la période à venir, l’ordre des priorité, les ressources à mobiliser.

Le point régulier est formalisé dans un entretien d’ajustement des objectifs et des priorités dont la périodicité doit être mensuelle.

Annuellement, le responsable hiérarchique et son collaborateur prennent le recul nécessaire pour faire le point et évaluer conjointement le niveau d’atteinte des objectifs, représentatif de la performance, et la qualité de la contribution qui caractérise le professionnalisme.

Cette appréciation se fait au cours de l’entretien professionnel individuel. Elle prend en compte les conditions de réalisation des objectifs et d’obtention des résultats : activités, contexte externe, comportement et compétences mises en œuvre.

L’appréciation est d’autant plus aisée que le suivi et le pilotage ont été bien effectués. Elle est un élément fondamental pour la définition des orientations pour l’année à venir et permet de définir un plan d’actions de progrès dans le but à la fois de réussir dans l’emploi occupé, mais aussi dans le parcours professionnel ultérieur.

Il est indispensable que, lors de l’entretien, il y ait un échange entre le responsable hiérarchique et son collaborateur, en matière de reconnaissance et de rémunération, même si les décisions en ce domaine ne peuvent être arrêtées dans ce seul cadre. (…)».

Le système de MPO, présenté dans l’exemple ci-dessus, est-il celui d’une entreprise anglo-saxonne ultra compétitive ou celui décrit par les manuels de management ? Ni l’un ni l’autre ! Il s’agit d’un extrait d’une note intitulée « L’Entretien Professionnel Individuel » dans une grande entreprise publique française que d’aucuns qualifieraient volontiers de bureaucratique. Elle a adopté une instrumentation – la face émergée de l’iceberg, évidemment – qui ressemble à s’y méprendre à des centaines d’autres. Elle a acheté un des signes ostentatoires de la modernité supposée. Présenté comme le système de management idéal, le MPO est omniprésent dans les entreprises privées, mais aussi dans celles du secteur public. Il fonctionne plus ou moins bien, mais quelles entreprises ne le pratiquent pas ? Elles sont rares. Sans MPO, une entreprise est immédiatement affublée de sobriquets divers et variés : « ringarde », « managée à la papa »,…


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