Structures matricielles ou millefeuilles ?

Structures matricielles ou millefeuilles ?

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Comme je le précisais dans un billet précédent, les structures matricielles devraient être des réponses appropriées aux deux principaux défis que les entreprises doivent relever pour faire face à la complexification de leur environnement : (1) une multi-dimensionnalité qui permet de poursuivre en même temps plusieurs objectifs stratégiques pour partie contradictoires entre eux ; (2) une décentralisation de la décision qui autorise à tirer profit des « intelligences locales ».

Mais le fonctionnement matriciel semble si peu naturel que les résultats obtenus sont en général décevants. Au point que certaines entreprises y renoncent pour adopter, ou ré-adopter, une structure hybride hyper-centralisée qui ne permet donc de relever qu’un des deux défis.

Cela tient en grande partie, de mon point de vue, au fait que les structures matricielles ne sont pas pensées autrement que comme la superposition de deux structures monodimensionnelles emprisonnées dans la logique du modèle hiérarchique traditionnel : l’une verticale, l’autre horizontale. Plus que matricielles, ce sont des structures millefeuilles. Et c’est là que le bât blesse !

Quatre grandes catégories de raisons expliquent que le « 1+1=3 » attendu de la structure matricielle se transforme souvent en « 1+1=0 ».

Un partage de la fonction de management qui ne se fait pas bien

Une structure est matricielle dès que les personnes qui composent l’organisation n’ont plus un seul chef, mais plusieurs. Que leur rattachement soit hiérarchique ou fonctionnel !

La question des « solid lines » (rattachement hiérarchique) et « dotted lines » (rattachement fonctionnel) est, en général, l’arbre qui cache la forêt. Le fonctionnement matriciel pose le problème du partage de la fonction de management. Or, dans le modèle hiérarchique traditionnel, on sait, grâce à un certain Frederick Taylor, penser la division du travail de production, mais pas la division du travail de management (à cause d’un certain Henri Fayol et de son principe de l’unicité du lien hiérarchique).

Dans une structure matricielle, la fonction de management n’est plus dans les mains d’une seule personne, mais d’au moins deux. Il est ainsi primordial que le partage des responsabilités, mais aussi (et surtout) de l’autorité, entre les managers soit clair et précis. Cela nécessite de savoir qui est responsable de quoi au niveau de chacun des processus dans lesquels les différentes parties sont impliquées, mais également qui évalue quoi, qui se prononce sur quelles rétributions, etc.

Or, en rester à la distinction hiérarchique / fonctionnel, même en se mettant d’accord sur le fait que le premier est responsable du quoi et du quand et le second du comment, est en général loin d’être suffisant.

Dans le cas le plus simple d’une matrice à deux dimensions, en plus d’une claire et précise distribution des responsabilités et de l’autorité sur les versants de la matrice auprès des « managers verticaux » et des « managers horizontaux », le fonctionnement matriciel dépend d’une régulation efficace et efficiente du processus de pilotage, c’est-à-dire : (1) de fixation et déclinaison des objectifs ; (2) d’allocation des ressources ; (3) d’évaluation des résultats ; (4) d’analyse des écarts et de mise en place d’actions collectives.

Cette régulation poursuit trois objectifs différents et complémentaires :

  • L’alignement des objectifs d’unités ayant à collaborer ensemble tout en portant des logiques organisationnelles différentes ;
  • La résolution d’inévitables conflits liés à la nature pour partie contradictoire des logiques organisationnelles à l’œuvre au sein de la matrice ;
  • La gestion des priorités en fonction des circonstances et des enjeux stratégiques.

 

Des managers qui ne se parlent pas suffisamment

Contrairement à ce qu’ont voulu nous faire croire Henri Fayol, Peter Drucker ou encore Henry Mintzberg, il n’y a aucune contre-indication au partage de la fonction de management. Dans une structure matricielle, c’est même une nécessité ! Mais n’oublions pas une des bases de l’organisation : les forces centrifuges de la division du travail doivent être contrebalancées par une coordination des activités. Le travail de management n’échappe pas à la règle.

Si la structure matricielle est pensée seulement comme la superposition de deux structures monodimensionnelles, rien n’est prévu pour que le « manager vertical » et le « manager horizontal » se parlent. Non seulement rien n’est prévu pour qu’ils collaborent, mais en plus, comme ils portent chacun des logiques organisationnelles potentiellement antagonistes, ils sont « naturellement » en concurrence et, indépendamment des questions de personne, le système induit du conflit entre eux.

Cela donne un pouvoir énorme à leur(s) collaborateur(s) « commun(s) » qui deviennent leur seul canal d’information et de communication. La mise en place de comités de coordination entre managers est rarement suffisante pour contrebalancer le poids que la structure donne à leurs collaborateurs, devenus de véritables « marginaux sécants », contrôlant les zones d’incertitude les plus stratégiques.

Une logique de management qui reste trop « Top-Down »

Le pari de la structure matricielle est que l’organisation permettra d’apporter localement, au cas par cas selon les moments et les situations, des réponses différentes au paradoxe stratégique qu’elle s’est refusé à trancher de manière définitive et uniforme au niveau global. C’est en ce sens qu’elle est nécessairement décentralisée.

Mais si « managers verticaux » et « managers horizontaux » continuent à manager dans une logique Top-Down, c’est-à-dire exclusivement descendante, ils répercutent en l’état aux niveaux locaux le paradoxe et, avec lui, les contradictions qui n’ont pas été résolus au niveau global. Ce faisant, parce qu’ils portent chacun une logique organisationnelle antagoniste, ils mettent leur(s) collaborateur(s) « commun(s) » face à des injonctions paradoxales toute la journée.

Pour qu’une structure matricielle fonctionne, les managers doivent changer de logique de management. Plus que d’attendre qu’ils mettent en œuvre les décisions qu’ils ont prises et de leur rendre des comptes sur le travail réalisé, ils doivent les aider à trouver des solutions aux problèmes locaux qu’eux seuls sont en mesure de résoudre. La logique managériale s’inverse alors : les managers doivent se penser plus comme « au service de leurs collaborateurs » que l’inverse !

Un déficit de management

La quatrième raison est la conséquence des trois premières : les structures matricielles ne fonctionnent pas bien d’abord et avant tout par manque de management. La matrice est très consommatrice en matière de management. Si, toutes choses égales par ailleurs, l’entreprise continue à y consacrer la même quantité d’énergie que quand sa structure était monodimensionnelle, inéluctablement, il y a un déficit de management en son sein.

Les organisations matricielles sont complexes, d’un niveau de complexité au moins aussi important que celui de leur environnement. La gestion de cette complexité à un coût : une augmentation significative de la quantité de management. Or, ce coût, beaucoup d’entreprises semblent le minimiser ou ne sont pas prêtes à le payer.

3 COMMENTS

  1. C’est pas faux, les structures matricielles tendent trop souvent à se transformer en usines à gaz. Il faut parfois revenir aux fondamentaux, remettre la structure à plat et définir clairement les relations hiérarchiques. C’est rébarbatif mais parfois salutaire!

  2. pour moi les entreprises de services très technique (la gestion des Energies par exemple) ont ce type de fonctionnement depuis toujours, l’organisation matriciel ne peux que la faire apparaître au grand jour.
    mais les managers, sont-ils formés?
    pourquoi chercher des noms différents comme le mode projet?

  3. Si on prend une image on peut comparer le management de la structure matricielle comme le rôle de 2 parents sur leurs enfants. Les 2 parents doivent avoir la même vision de l’éducation et trouver des compromis sur leurs points de vue divergents. Et comme dit plus haut ils sont au service, à l’écoute des besoins exprimés ou non de leurs enfants (collaborateurs) pour qu’ils puissent s’épanouir et les former a sautoresponsabiliser eux meme.

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