Longtemps, l’un des principaux problèmes de la conduite du changement a résidé dans la capacité de l’entreprise à continuer d’assurer sa production pendant la durée du changement : « pendant les travaux, la vente continue ». Aujourd’hui, compte tenu de l’accélération des changements et de la complexification des environnements, les travaux sont devenus permanents.
Du coup, les entreprises ne peuvent plus s’organiser, puis se transformer pour s’organiser autrement. Il leur faut, au contraire, s’organiser et se transformer simultanément en continu. La transformation n’est plus un épisode temporaire délimité dans le temps avec un début et une fin, mais un processus permanent et continu. Comment procéder concrètement ?
Surtout pas un département dédié
Il s’agit d’abord de constituer un portefeuille permanent de projets de transformation. On est alors naturellement tenté de créer une entité dédiée à la gestion de ce portefeuille de projets, puis de recruter un « Business Transformation Leader », le nommer au comité de direction et le doter d’une équipe composée des meilleurs potentiels de l’entreprise.
C’est, de mon point de vue, une erreur ! En faisant cela, on délègue la transformation à une personne et/ou à un département. Ainsi, on acte le fait qu’elle n’est pas l’affaire de tous. Au sein de l’équipe de direction, il y a « Monsieur ou Madame Transformation », les autres membres restant centrés sur le fonctionnement de l’organisation en place. Tout le monde aura naturellement tendance à se décharger des problèmes de transformation sur celui ou sur celle qui en est responsable. Au total, non seulement on ne profitera pas de la dynamique naturelle de l’organisation à se transformer, mais, en plus, on risque de créer artificiellement des résistances au changement.
La transformation ne se délègue pas et doit être collectivement portée
Il faut, au contraire, mettre en place un dispositif porté par le directeur général et dans lequel, a minima, l’ensemble des membres de l’équipe de direction jouent un rôle actif sans que l’un d’eux en soi responsable à proprement parler. Pour des questions pratiques, il peut y avoir un animateur du dispositif, mais pas un responsable. Seul le directeur général peut l’être.
La fonction de transformation, pour véritablement être reliée à celle d’organisation, ne peut pas être déléguée. Elle doit être portée et partagée au sein de l’instance de plus haut niveau de la gouvernance.
Une double structure
Comme le suggère John Kotter, il convient de créer une double structure. A la structure « classique » (pyramide hiérarchique), dont la fonction est de s’organiser pour produire au quotidien, il s’agit d’en superposer une seconde en charge de la transformation.
Cette seconde structure prend la forme d’un réseau dont les nœuds sont constitués des projets de transformation du portefeuille.
La tête des deux structures est composée des membres de l’équipe de direction, mais subdivisés en deux instances : un comité de direction en charge de la supervision de la fonction d’organisation à travers la structure hiérarchique d’une part, un comité de pilotage responsable de la fonction de transformation à travers l’animation du portefeuille de projets de la structure en réseau d’autre part.
Chaque projet de transformation est conduit par une équipe composée d’un « sponsor » (un des membres du comité de pilotage donc un des membres de l’équipe de direction), d’un pilote « neutre » (c’est-à-dire non impliqué dans le problème identifié) et d’au moins un représentant de chacune des parties prenantes.
Deux facteurs clés de succès
Les deux dimensions de la double structure ont un fort besoin de coordination entre elles. L’une porte la fonction d’organisation, l’autre celle de transformation, le tout dans une relation complexe faite soit de complémentarité, mais aussi nécessairement d’antagonisme. Deux conditions doivent être réunies pour éviter d’aboutir à une organisation schizophrénique.
D’une part, les deux dimensions de la structure doivent avoir la même tête : l’équipe de direction. Il convient de créer deux instances, dont les fonctions sont différentes, mais qui réunissent les mêmes membres. Ces derniers doivent adopter une posture très différente au sein de chacune des deux instances, mais doivent également constituer une équipe très soudée. La double structure génère nécessairement de la contradiction et du paradoxe, notamment entre le management hiérarchique et l’animation en réseau, qui mettent à rude épreuve la vie de l’équipe et la cohésion entre ses membres. Un travail de « team building » n’est, en général, pas superflu, y compris dans les équipes qui fonctionnent correctement.
D’autre part, les « nœuds » du réseau de la seconde structure ne se superposent pas complètement aux entités organisationnelles de la ligne hiérarchique de la première. Dans la structure en réseau, il faut impliquer en priorité les personnes ou groupes de personnes qui vont mettre de l’énergie positive dans la transformation, des militants si on reprend la typologie des comportements face au changement (voir mon billet à ce sujet).
Les projets sont de formidables révélateurs de talents. Ils offrent des opportunités à certaines personnes qui ne les auraient jamais eues dans le cadre de l’organisation hiérarchique. En revanche, il convient de ne pas trop court-circuiter la hiérarchie. Certains membres de l’organisation doivent appartenir aux deux structures. Ils sont ainsi amenés à jouer un double rôle qui, à ce niveau-là aussi, nécessitent des compétences et des postures différentes.
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