Auto-organisation : les facteurs clés de succès

Auto-organisation : les facteurs clés de succès

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J’ai consacré un premier billet à l’auto-organisation, notion au coeur des NFO (Nouvelles Formes d’Organisation). Au-delà de ses caractéristiques, il s’agit ici de cerner ses facteurs clés de succès.

De la solidarisation, oui mais pas trop

Pour fonctionner correctement, une équipe auto-organisée doit à la fois produire et s’organiser. Mais elle doit aussi solidariser. Ses membres doivent pouvoir satisfaire un certain nombre de besoins sociaux qui, sans l’existence de l’équipe, resteraient insatisfaits. La satisfaction de ces besoins sociaux passe par la nature des relations entre les coéquipiers mais également par la possibilité pour eux de s’identifier à un tout qui les dépasse. Ils doivent être en capacité d’introjecter ce tout de manière à ce que l’équipe devienne une partie d’eux-mêmes.  Le processus de solidarisation au sein d’une équipe permet de construire des liens mais également de générer du liant entre ses membres. Une équipe qui ne fait que produire et s’organiser finit par dysfonctionner sur le moyen et long terme. Tous les coachs de sport collectif le savent très bien. La solidarisation ne produit pas seulement du bien-être mais aussi de la performance.

Si un minimum de solidarisation est indispensable à la constitution d’une véritable équipe, trop de solidarisation peut, en revanche, devenir contreproductif. Dans certains cas, les membres de l’équipe sont tellement bien ensemble qu’ils se recroquevillent sur eux-mêmes. L’équipe auto-organisée devient alors quelque peu égocentrique et insuffisamment tournée vers l’extérieur. Cela peut nuire dramatiquement à sa capacité d’adaptation, à son agilité et, donc, à sa performance.

Une équipe auto-organisée est à la fois fermée et ouverte. Fermée dans la mesure où les frontières avec son ou ses environnements ne doivent pas être trop ambigües. Sans frontières suffisamment marquées, une équipe ne peut pas se doter d’une identité propre et, donc, d’une autonomie. Ouverte dans la mesure où elle n’est jamais une fin en soi. Elle doit permettre de réaliser un travail, de remplir une mission à destination d’un ou plusieurs « clients ». Son utilité et sa reconnaissance ne peuvent venir que de l’extérieur. Elle prend d’énormes risques à se couper de l’écosystème auquel elle appartient.

Un contexte favorable au travail en équipe

Richard Hackman, ancien professeur de développement organisationnel à la Harvard Business School, identifie trois caractéristiques des contextes favorables au développement et au bon fonctionnement des équipes.

La première réside dans le système de rétribution et de reconnaissance. La performance d’une équipe auto-organisée est collective et ne se réduit pas à la somme des performances individuelles de chacun des coéquipiers. Ainsi, toute forme de rétribution de la performance autre que collective est dissonante et contreproductive. En revanche, chaque membre de l’équipe ne mobilise pas les mêmes compétences. Ces dernières peuvent et doivent faire l’objet d’une reconnaissance individuelle différenciée au sein de l’équipe.

La deuxième concerne le système d’information. Les membres d’une équipe auto-organisée doivent pouvoir bénéficier d’une information complète, fiable et en temps réel pour réaliser leur travail dans de bonnes conditions. Ces informations concernent au premier chef la performance de l’équipe mais également le travail qui doit être réalisé en son sein ainsi que les prévisions d’activité qui la concerne.

Enfin, la troisième caractéristique est liée à l’acquisition et au développement des compétences associées au travail d’équipe. Travailler en équipe auto-organisée ne s’invente pas. Cela nécessite des compétences qui ne sont innées pour personne. Les membres des équipes doivent être formés mais surtout accompagnés par un coach. Le fonctionnement en équipe auto-organisée repose sur certains principes génériques qui peuvent s’acquérir en formation. Mais, pour la plupart, les compétences sont contingentes à une équipe particulière. Elles ne peuvent donc s’acquérir que sur le terrain en situation d’équipes naturelles.

La prise de décision par consentement

Au sein d’une équipe auto-organisée, l’autorité est répartie entre l’ensemble des coéquipiers. Par rapport au fonctionnement pyramidal classique, c’est ainsi la prise de décision qui est la plus fortement percutée. En effet, on ne peut plus s’en remettre à une seule personne, le manager, pour décider. Personne n’a véritablement l’autorité de trancher quand les membres de l’équipe ne sont pas d’accord entre eux. Comment faire alors ?

La sociocratie propose un processus de décision dit par consentement particulièrement adapté au fonctionnement en équipe auto-organisée. Le consentement présente les avantages du consensus, sans en comporter les inconvénients. Dans le consensus, tout le monde dit « oui ». Dans le consentement, personne ne dit « non ».

Lorsqu’un membre de l’équipe fait une proposition, chaque coéquipier peut émettre une objection. Cette dernière est jugée raisonnable s’il explicite et convainc le reste du groupe que l’adoption de ladite proposition aurait des conséquences préjudiciables pour la performance de l’équipe ou la capacité d’un des coéquipiers à jouer correctement son rôle. Si l’objection est jugée raisonnable, le coéquipier qui l’a émise effectue une nouvelle proposition pour laquelle les membres du groupe peuvent émettre de nouvelles objections. Le processus est poursuivi jusqu’à ce que plus personne n’ait d’objection à émettre.

La prise de décision par objection est longue mais, une fois fait, le choix est rapidement mis en œuvre puisque a priori plus personne n’y voit d’inconvénient rédhibitoire. Toutes les décisions impactant le fonctionnement de l’équipe auto-organisée ne sont pas forcément prises par consentement. Cependant, les coéquipiers décident par consentement quelles décisions échappent à la règle, comment et par qui elles sont prises et pour quelle durée il est possible de procéder autrement.

Mission, règles de fonctionnement et auto-évaluation

L’auto-organisation produit un tout différent de la somme de ses parties. Ce tout doit être formalisé et intériorisé par chacune des parties. Les parties (les coéquipiers) sont dans le tout (l’équipe) mais, pour que l’auto-organisation soit possible, le tout doit aussi être dans chacune des parties. Le tout que constitue l’équipe peut être formalisé à partir de deux éléments : la mission et les règles de fonctionnement de l’équipe.

La mission de l’équipe se formalise en deux parties. La première concerne la finalité de l’équipe, son but. La seconde précise son terrain de jeu, c’est-à-dire à la fois ses clients/bénéficiaires et son périmètre d’action.

Les règles de fonctionnement concernent la manière dont les coéquipiers décident de travailler ensemble. Elles sont liées à l’organisation, à la circulation de l’information et à la communication, au suivi de l’activité et à son pilotage, à la prise de décision et à la résolution des tensions et des conflits au sein de l’équipe. Mais aussi aux modalités relationnelles et comportementales que chaque coéquipier s’engage à adopter et respecter.

L’équipe auto-organisée ne peut pas définir seule sa propre mission indépendamment du ou des « clients » pour le(s)quel(s) elle œuvre. Elle n’en possède pas l’autorité. En revanche, ses membres peuvent être force de proposition pour en produire un projet. Une fois validée par le ou les « clients », la mission de l’équipe est un élément essentiel pour permettre aux coéquipiers de formaliser en toute autonomie les règles de fonctionnement de l’équipe.

Un coach, qui joue le rôle d’un tiers-médiateur entre l’équipe et son ou ses « clients », peut être très intéressant à cet égard. Il aide l’équipe à réfléchir à son projet de mission, à la définition et à la mise en œuvre de ses règles de fonctionnement. Une fois définies, l’équipe doit faire vivre ses règles au quotidien. Elles doivent devenir effectives. Une manière de faire consiste à offrir à fréquence régulière la possibilité à chaque coéquipier d’auto-évaluer le fonctionnement de l’équipe à partir de chacune de ses règles de fonctionnement.  Les coéquipiers transmettent leur auto-évaluation du fonctionnement de l’équipe au coach qui les agrège et en restitue une évaluation collective à l’ensemble de l’équipe lors d’une de ses réunions. Cela offre aux coéquipiers un espace sécurisé d’échanges sur le fonctionnement de l’équipe. Chacun peut s’exprimer sur les problèmes de fonctionnement collectif qu’il rencontre au moment où il y est confronté sans pour autant mettre en cause individuellement tel ou tel membre de l’équipe. Répété à échéances régulières, ce système d’auto-évaluation s’apparente à un processus d’apprentissage organisationnel qui permet de créer des normes collectives débouchant sur un fonctionnement d’équipe efficace aussi bien qu’efficient.

Du poste ou de la fonction aux rôles

Dans les organisations traditionnelles, le système de gestion des ressources humaines est construit à partir des notions de poste ou de fonction. Les descriptions de poste ou les définitions de fonction prescrivent le travail à réaliser. C’est à partir d’elles que l’on sait quels profils recruter, comment rémunérer le travail, quelles formations délivrer pour permettre d’acquérir et de développer les compétences. Dans ces systèmes, sauf exception, une personne tient un seul poste ou une seule fonction à la fois.

Dans les NFO, les notions de poste et de fonction disparaissent au profit de celle de rôle. Au sein des équipes auto-organisées, différents rôles sont identifiés et éventuellement formalisés. On peut distinguer les rôles de production des rôles de management. A la différence d’un poste ou d’une fonction, une personne peut assumer plusieurs rôles de la même manière qu’un même rôle peut être potentiellement tenu par plusieurs personnes. Il y a là une certaine redondance, peu efficiente certes, mais garante de l’agilité des équipes.

Au sein des équipes auto-organisées, il n’y a en général pas de manager. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de management. Bien au contraire ! La fonction de management, tenue par une seule personne – le manager – dans les modèles organisationnels traditionnels, est ici décomposée en une série de rôles (animation d’équipe, développement des compétences, pilotage de l’activité…) qui peuvent être affectés à différents membres de l’équipe auto-organisée en plus d’un ou plusieurs rôles de production. La fonction de management, dans les mains d’un seul et unique manager dans les modèles classiques, est ici répartie entre plusieurs membres de la même équipe. Les coéquipiers peuvent décider collectivement de confier l’ensemble des rôles de management à un seul d’entre eux qui, par là-même, devient le leader de l’équipe. Mais c’est leur choix et cela met le leader dans une situation de soutien de l’équipe et non de contrôle. Son autorité est personnelle et librement consentie par ses pairs. Elle n’est ni statutaire ni déléguée par l’institution comme l’autorité hiérarchique.

Des prolongements de ce billet se trouvent dans mon dernier ouvrage “S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise” consacré à l’organisation cellulaire. Vous pouvez accéder à une présentation détaillée de l’ouvrage en cliquant ici.

1 COMMENT

  1. Salut Eric, super article !

    Je suis totalement d’accord avec la prise de décision par consentement. C’est long, mais redoutablement efficace !

    Mais j’ai une question, si personne ne tombe d’accord, que peut-on faire ?

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