Dans un billet précédent, j’ai présenté de manière globale les 5 paramètres de conception d’une organisation en précisant que chacun d’eux était un couple de forces en tension à la fois complémentaires et antagonistes.
Le deuxième des cinq paramètres de conception concerne le regroupement des activités au sein des entités. Les deux forces en tension sont les modes de regroupement fonctionnel et divisionnel.
Les deux modes de regroupement des activités
Pour bien comprendre les deux modes de regroupements des activités au sein d’une organisation, imaginons une entreprise qui conçoit, fabrique et commercialise trois types de produits : A, B et C. Elle peut regrouper ses activités de deux manières.
Notre entreprise peut rassembler dans les mêmes entités les activités de même nature qui remplissent la même fonction, qui mobilisent les mêmes compétences au sens technique du terme. Dans ce cas, elle regroupe l’ensemble des activités de développement au sein d’une direction Recherche & Développement (développement des produits A, développement des produits B et développement des produits C), l’ensemble des activités de production au sein d’une autre direction et, enfin, l’ensemble des activités de vente au sein d’une dernière entité. Notre entreprise a ainsi regroupé ses activités dans des entités selon un mode fonctionnel. Le critère de regroupement au sein d’une même entité, comme le critère différenciation des entités, est la fonction.
Notre entreprise peut, à l’inverse, rassembler dans la même entité les activités qui appartiennent à un même processus et qui concourent à produire un même résultat. Dans ce cas de figure, elle regroupe l’ensemble des activités qui participent à mettre les produits A sur le marché (développement des produits A, fabrication des produits A et commercialisation des produits A) dans une même direction, l’ensemble des activités liées aux produits B dans une autre, et celles liées aux produits C dans une dernière entité. Elle a alors regroupé ses activités selon un mode divisionnel. Le critère de regroupement au sein d’une même entité, comme le critère de différenciation des entités, est, non plus la fonction, mais bien le résultat.
Les deux modes de regroupement présentent chacun des avantages et des inconvénients. Le mode idéal n’existe pas. Chacun d’eux est plus ou moins adapté à un contexte et des enjeux spécifiques. Notons au passage que les avantages du mode fonctionnel sont les inconvénients du mode divisionnel, et inversement.
Le mode de regroupement fonctionnel favorise les économies d’échelle et la spécialisation technique
Le mode de regroupement fonctionnel permet de réaliser des économies d’échelle. S’il y a des composants communs aux produits A, B et C, les fabriquer au même endroit et/ou regrouper les achats au sein d’une même entité fait bénéficier d’effets d’expérience et de volume. Ces derniers étant, l’un et l’autre, favorables à la diminution des coûts unitaires de production.
Par ailleurs, le mode de regroupement fonctionnel permet une plus grande spécialisation technique. Il est donc favorable au développement de l’expertise et au partage de connaissances entre spécialistes. Imaginons qu’un Directeur des Ressources Humaines obtienne la création de trois postes pour constituer son équipe. S’il choisit le mode de regroupement divisionnel, il créera trois postes de généralistes RH : un premier pour les produits A, un deuxième pour les produits B et un dernier pour les produits C. Si, au contraire, il opte pour le mode de regroupement fonctionnel, il pourra créer un poste dédié à l’administration du personnel, un autre au développement des talents et un dernier aux relations sociales. Il aura ainsi constitué une équipe, non pas de trois généralistes, mais bien de trois spécialistes.
En revanche, le mode de regroupement fonctionnel interdit la responsabilité globale. Seul le Directeur Général est à la tête d’un centre de profit dans un regroupement fonctionnel alors que les directeurs de division A, B et C peuvent chacun avoir leur propre compte de résultat.
Enfin, dans le regroupement fonctionnel, les informations et les décisions peuvent emprunter des chemins longs et sinueux. Par exemple, si un client se plaint d’un problème sur les produits A, le vendeur concerné remontera l’information à son directeur lors de la réunion commerciale. Le directeur commercial évoquera le problème lors du comité de direction suivant. Si on pressent qu’il s’agit d’un problème de production, le directeur de fabrication informera le responsable de fabrication des produits A. Mais si, après vérification, ce dernier estime qu’il s’agit non pas d’un problème de production mais de développement, le même circuit sera suivi avant que l’information ne parvienne au responsable du développement des produits A. Le client aura eu le temps de changer de fournisseur.
Le mode de regroupement divisionnel favorise l’autonomie et la responsabilité globale
Dans un regroupement divisionnel, les directeurs de division peuvent facilement être responsabilisés sur des résultats économiques et se voir attribuer des moyens propres pour les atteindre. Comme nous venons de le voir, ils peuvent être à la tête d’un compte de résultat, ce qui n’est pas le cas des directeurs fonctionnels.
Par ailleurs, le mode de regroupement divisionnel permet une différenciation des activités cohérente avec la segmentation stratégique de l’entreprise. Si la stratégie déployée pour les produits A n’a rien à voir avec celle des produits B et celle des produits C, parce que les exigences de performance et les enjeux concurrentiels sont différents, si l’entreprise joue les coûts dans certains cas et la différenciation dans d’autres par exemple, alors le regroupement divisionnel permettra que les catégories de produits ne se polluent pas les unes les autres.
En revanche, le mode de regroupement divisionnel interdit les économies d’échelle, ne favorise pas la mutualisation de moyens et, surtout, duplique les fonctions. Dans un regroupement divisionnel, notre DRH a besoin de trois responsables RH, un par division. Il n’est donc pas très économique.
Enfin, le mode de regroupement divisionnel ne facilite pas la mise en place de politiques communes au niveau de l’entreprise et, revers de la médaille de l’autonomie et de la responsabilité, peut favoriser le développement des « baronnies », chaque directeur de division ayant des moyens propres et des enjeux spécifiques.
Les organisations hybrides
On parle d’organisation hybride quand cohabitent au même niveau des entités dont le regroupement d’activités relève de logiques à la fois fonctionnelle et divisionnelle. Une entreprise de télécommunications a mis en place deux « Business Units » (BU) pour ses activités de Recherche & Développement et de marketing selon un mode de regroupement divisionnel par produits (les produits sont regroupés par technologies : transmission hertzienne (MTA) d’un côté, transmission de données (DAN) de l’autre). Les deux divisions cohabitent avec les activités de production (une direction du manufacturing regroupe les deux usines) et de commercialisation (une même direction regroupe les ventes sur le territoire français et les ventes à l’international), toutes deux organisées à partir d’un mode de regroupement fonctionnel.
Dans cette entreprise de télécommunications, plusieurs modes de regroupement cohabitent. Les activités de R&D et de marketing sont regroupées dans deux divisions par produits ; les deux usines se trouvent dans une direction du manufacturing selon un regroupement fonctionnel ; enfin, les activités de vente siègent dans une direction commerciale également structurée selon un regroupement fonctionnel. Par conséquent, aucun des deux modes de regroupement ne permet de qualifier cette structure. Celle-ci n’est ni complétement fonctionnelle, ni entièrement divisionnelle. Elle est hybride.
Les entreprises qui adoptent une organisation hybride cherchent à optimiser les avantages de chacun des modes de regroupement. Dans le cas de l’entreprise de télécommunications, les stratégies poursuivies pour les produits de technologie hertzienne et pour ceux de transmissions de données sont très différentes. Les enjeux et les avantages concurrentiels recherchés varient fortement. C’est pourquoi l’entreprise opte pour un regroupement divisionnel par produits pour organiser ses activités de R&D et de marketing. Ce choix lui permet d’aligner les activités de développement et de marketing sur ses deux principaux segments stratégiques et, ainsi, de déployer des stratégies de différenciation différentes, sans pollution de l’une par l’autre.
Au niveau des activités de développement et de marketing, les économies d’échelle sont faibles. Le mode de regroupement divisionnel comporte donc peu d’inconvénients. C’est l’inverse au niveau de la production et de la commercialisation. Rester dans un regroupement divisionnel par produits pour les activités de production ne permettrait pas de bénéficier des économies d’échelle. Du coup, l’entreprise décide de basculer dans un regroupement fonctionnel et choisit de créer une seule et unique direction du manufacturing. C’est la même chose pour les activités de ventes : certains clients achètent à la fois des produits de technologie hertzienne et de transmission de données. Le regroupement fonctionnel, qui réunit l’ensemble des activités commerciales au sein d’une même direction, permet qu’une seule personne vende des produits issus de « Business Units » différentes aux mêmes clients.
Quel(s) mode(s) de regroupement des activités au sein de votre organisation ?
Le regroupement d’activités :
- Relève d’une logique fonctionnelle pour l’ensemble des entités qui composent votre organisation et pour votre organisation elle-même (regroupement d’activité fonctionnel – organisation fonctionnelle)
- Relève d’une logique fonctionnelle pour l’ensemble des entités qui composent votre organisation, votre organisation relevant elle d’une logique divisionnelle ou relève des deux logiques (fonctionnelle/divisionnelle) pour les entités qui composent votre organisation (ce qui rend votre organisation hybride) et d’une logique fonctionnelle pour l’organisation elle-même (regroupement d’activité plutôt fonctionnel – organisation plutôt fonctionnelle)
- Relève d’une logique divisionnelle pour l’ensemble des entités qui composent votre organisation, votre organisation relevant elle d’une logique fonctionnelle ou relève des deux logiques (fonctionnelle/divisionnelle) pour les entités qui composent votre organisation (ce qui rend votre organisation hybride) et d’une logique divsionnelle pour l’organisation elle-même (regroupement d’activité plutôt divisionnel – organisation plutôt divisionnelle)
- Relève d’une logique divisionnelle pour l’ensemble des entités qui composent votre organisation et pour votre organisation elle-même (regroupement d’activité divisionnel – organisation divisionnelle)
Cet article est un extrait de mon ouvrage “L’organisation en mouvement. Adopter le changement permanent” accessible en cliquant ici.
Bonjour, et merci pour ce billet. Vous devriez également parler des regroupements possibles par nature d’activité: STRATÉGIQUE /TACTIQUE / OPÉRATIONNEL. Que ce soit par regroupement fonctionnel ou divisionnel, cette segmentation existe toujours et peut donner lieu à une infinité de schémas hybrides. Exemple, j’ai des équipes qui traitent de problématiques tactiques en fonctionnel, tandis que les problématiques opérationnelles sont toujours traitées en division. Et on peut tout a fait rattacher ce centre de compétences (dans un “hub central”) à une division donnée (la plus mature par exemple, ou la plus importante).
@ Guillaume : merci de votre commentaire ! J’ai abordé la problématique du type de décisions (stratégique, tactique et opérationnelle) dans un billet précédent consacré à l’allocation de l’autorité (https://www.questions-de-management.com/lallocation-de-lautorite-centrale-et-locale/). Vous avez raison, on peut croiser ces deux paramètres de conception : le regroupement des activités et l’allocation de l’autorité.
Bonjour, et merci pour ces apports. Transposé aux organisations associatives, il semble que le concept puisse s’appliquer dès lors que l’on considère qu’une unité de production peut être comparée à une activité ou un pôle d’activités similaires. Dans ce cas, le modèle divisionnel projette l’organisation vers des directeurs de pôles autonomes qui, cloisonnés dans leur champs deviennent davantage des experts que des managers. Une forme d’hybridation peut être observée parfois avec le couplage du modèle divisionnel avec le recrutement de conseillers techniques aux compétences transverses capables de murmurer à l’oreille de ces dirigeants.
Ici, l’hybridation ne peut-elle pas être une réponse aux transformations permanentes des organisations?
@ Frédéric : merci de votre commentaire ! Les associations sont des systèmes qui ont besoin d’organisation autant que les entreprises. Même si, dans ce billet, j’ai pris des exemples qui relèvent plutôt du monde de l’entreprise, les deux modes de regroupement des activités se retrouvent, de la même manière, dans les associations qui en effet, en général, adoptent des formes d’organisation hybride, lesquelles sont bien, comme vous l’évoquez, une manière de répondre aux transformations permanentes. Attention cependant : à la tête d’une entité divisionnelle, le manager est plutôt un généraliste d’un spécialiste ! Cela s’explique par le fait qu’il a à manager des activités, qui concourent toute à produire un même résultat, mais qui sont de natures différentes. C’est dans le cas d’une entité fonctionnelle que le manager est plutôt un spécialiste dans la mesure où sont regroupées dans l’entité qu’il manage des activités de même nature.