Comment allouer l’autorité au sein d’une organisation ?

Comment allouer l’autorité au sein d’une organisation ?

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Dans un billet précédent, j’ai présenté de manière globale les 5 paramètres de conception d’une organisation en précisant que chacun d’eux était un couple de forces en tension à la fois complémentaires et antagonistes.

Le premier des cinq paramètres de conception concerne l’allocation de l’autorité au sein de l’organisation. Quelle soit statutaire ou personnelle, l’autorité est ici entendue comme la capacité à prendre ou faire prendre des décisions.

Allocation de l’autorité centrale et locale

Les deux forces en tension qui composent le premier des cinq paramètres de conception sont l’allocation de l’autorité centrale et locale. La première positionne le pouvoir de décision au sommet de l’organisation en la concentrant dans les mains d’une seule personne ou d’un petit groupe de personnes. La seconde, quant à elle, place l’autorité à la base de l’organisation en la répartissant entre le plus grand nombre de personnes possible. Quand l’allocation de l’autorité est centrale, on parle d’organisation centralisée, et d’organisation décentralisée quand elle est locale. Au sein d’une organisation, l’allocation de l’autorité peut prendre quatre formes différentes. Une organisation peut ainsi être centralisée, plutôt centralisée, plutôt décentralisée ou décentralisée.

L’allocation de l’autorité est centrale -et donc l’organisation centralisée- quand une personne (ou un petit groupe de personnes), placée au sommet de l’organisation, prend l’ensemble des décisions stratégiques, tactiques et opérationnelles. Les autres membres de l’organisation ne font qu’exécuter.

L’allocation de l’autorité est plutôt centrale -et donc l’organisation plutôt centralisée- quand, par l’intermédiaire d’un processus de délégation, le sommet, qui reste responsable, autorise un ou plusieurs niveaux organisationnels inférieurs à prendre un certain nombre de décisions à sa place. L’autorité déléguée permet au(x) niveau(x) inférieur(s) de prendre des décisions opérationnelles, parfois tactiques, mais jamais stratégiques.

L’allocation de l’autorité est locale –et donc l’organisation décentralisée- les entités opérationnelles sont autonomes, c’est-à-dire prennent l’ensemble des décisions tactiques et opérationnelles les concernant et participent activement aux décisions stratégiques. Le rôle du sommet consiste alors, non pas à définir une stratégie d’ensemble de manière « Top-Down », mais, au contraire, à animer un processus « Bottom-Up » permettant de faire émerger une vision stratégique commune se nourrissant des ambitions de chacune des entités opérationnelles tout en les englobant. Dans une organisation décentralisée, seules les décisions liées aux activités dites régaliennes et à certains services partagés restent dans les mains du sommet de l’organisation.

L’allocation de l’autorité est plutôt locale –et donc l’organisation plutôt décentralisée- quand, par l’intermédiaire d’un processus de subsidiarité et non de délégation (voir mon billet sur la différence entre délégation et subsidiarité), certaines décisions, que les entités opérationnelles ne sont pas en mesure de prendre remontent au(x) niveau(x) supérieur(s) vers le sommet de l’organisation. L’autorité est alors largement locale pour les décisions opérationnelles voire tactiques. Les décisions stratégiques, quant à elles, restent dans les mains du sommet de l’organisation au niveau central. C’est le cas de certaines Team-Based Organizations dans lesquelles, en plus des décisions stratégiques prises par le sommet, un certain nombre de décisions tactiques sortent du périmètre d’autorité des équipes opérationnelles et remontent dans les fonctions support. Deux catégories de raisons sont souvent invoquées à une telle dépossession : (1) les équipes ne sont pas encore suffisamment matures pour être complètement autonomes ; (2) c’est un moyen de réaliser des économies d’échelle et/ou des mutualisations d’expertises et de moyens entre les équipes pour réduire les coûts.

L’allocation centrale de l’autorité favorise la rapidité de la prise de décision et minimise ses coûts de coordination

Quand l’autorité est centralisée, un nombre réduit de personnes est impliqué dans la prise de décision. Du coup, les décisions se prennent rapidement, de manière uniforme et leur coût de coordination est peu élevé. On tergiverse moins et on se met a priori plus vite d’accord que quand le pouvoir de décision est davantage partagé.

Par ailleurs, les décisions sont prises par les dirigeants situés au sommet de l’organisation. Cela permet de tirer le meilleur parti de leur expertise et de leurs compétences tout en favorisant la rapidité des changements de cap stratégique.

Excessive, la centralisation de l’autorité comporte en revanche un certain nombre d’inconvénients. Les dirigeants, au sommet de l’organisation, peuvent être trop éloignés des réalités de terrain et, ainsi, prendre des décisions sur la base d’informations biaisées et trop incomplètes pour être véritablement pertinentes. Cela peut alors déboucher sur des erreurs stratégiques préjudiciables à la pérennité même de l’entreprise. La diversité des problématiques locales peut également ne pas être assez prise en considération dans la prise de décision. Cette insuffisance se traduit alors par un manque d’adaptabilité de l’organisation à la variété des contextes d’action de l’entreprise.

Une centralisation excessive de l’autorité peut également provoquer des embouteillages décisionnels, les dirigeants étant amenés à prendre un trop grand nombre de décisions au regard de leur disponibilité. La longueur des temps de réponse est alors néfaste à la réactivité de l’organisation.

Enfin, dans une organisation trop centralisée, le sommet n’est plus suffisamment en contact avec la base de l’organisation. Le manque d’échange entre les niveaux stratégique et opérationnel provoque un désalignement entre la prise de décision et sa mise en œuvre. Les acteurs de terrain peuvent également se sentir déresponsabilisés et, du coup, manquer d’engagement et de prise d’initiative.

L’allocation locale de l’autorité favorise la réactivité, l’adaptabilité et tire parti de la diversité des compétences

L’allocation locale de l’autorité permet d’impliquer dans la prise de décision un grand nombre de personnes au plus proches des problématiques de terrain. En tirant le meilleur parti à la fois de la proximité opérationnelle et de la diversité des compétences, l’autorité décentralisée favorise l’intelligence situationnelle. Elle renforce ainsi la réactivité et l’adaptabilité de l’organisation à la variété des contextes d’action.

Par ailleurs, en permettant au plus grand nombre de participer à la prise de décision, l’allocation locale de l’autorité développe l’empowerment des membres de l’organisation : de spectateurs, ils deviennent acteurs. C’est sans doute la manière la plus judicieuse de valoriser le potentiel de chacun à sa juste valeur.

En revanche, une décentralisation excessive de l’autorité risque de provoquer un désalignement stratégique. Chacun joue sa propre partition dans son coin. La prise de décision est alors quelque peu désordonnée, voire anarchique, et l’organisation éprouve une incapacité à changer rapidement d’orientation stratégique ce qui peut être préjudiciable à sa pérennité. Les processus de décision sont lents et l’entreprise s’expose même au risque d’une certaine forme d’enlisement décisionnel.

Enfin, si les entités de terrain manquent de compétence pour faire face à leurs responsabilités, la décentralisation de l’autorité produira un sentiment d’insécurité générateur de stress plus que de performance. Les hésitations, les tâtonnements, voire les erreurs des entités opérationnelles, entacheront la relation de confiance avec le sommet de l’entreprise.

Quelle allocation de l’autorité au sein de votre organisation ?

Au sein de votre organisation, le pouvoir de décision est-il ?

  • Concentré dans les mains de quelques personnes au sommet pour la quasi-totalité des décisions, y compris les plus opérationnelles (allocation de l’autorité centrale – organisation centralisée) ;
  • Largement centralisé mais les décisions opérationnelles du « business » sont, pour la plupart, déléguées aux entités de terrain (allocation de l’autorité plutôt centrale – organisation plutôt centralisée) ;
  • Plutôt décentralisé pour les décisions opérationnelles voire tactiques du « business » mais les décisions stratégiques restent, quant à elles, dans les mains du sommet (allocation de l’autorité plutôt locale – organisation plutôt décentralisée) ;
  • Très largement réparti entre un nombre important de personnes à la base selon le principe de la subsidiarité pour l’ensemble des décisions du « business », seules les décisions liées aux activités régaliennes et à certains services partagés restant dans les mains du sommet (allocation de l’autorité locale – organisation décentralisée).

Cet article est un extrait de mon ouvrage “L’organisation en mouvement. Adopter le changement permanent” accessible en cliquant ici.

2 COMMENTS

  1. J’adore vos analyses. Je voudrais aller plus dans le détail sur ce billet, car je suis sur ma faim par rapport à mes observations personnelles. Le pouvoir peut se définir par 2 choses : posséder des des ressources ($, RH, etc) et avoir la liberté de s’en servir. Les deux conditions sont nécessaires. Dans mon expérience personnelle, j’ai souvent vu l’allocation en local de la liberté de décision…mais sans les ressources. C’est un espèce “d’entre deux” que vous ne décrivez pas, ou officiellement les équipes sont autonomes, voir “libérées” mais dans les fait le pouvoir central continue de contrôler l’allocation des ressources aussi bien au niveau tactique que stratégique. Reste au local la pleine maîtrise de l’opérationnel. Si le local est dynamique et force de proposition, il peut (en allant demander au central des ressources supplémentaires pour des actions tactiques) influencer la stratégie du groupe de manière indirecte. il y a en effet une causalité circulaire entre la tactique et la stratégie, cf Edgar Morin. C’est non-pensé et non-dit, mais ça fonctionne plutôt comme cela dans ma boite.

    • Merci Guillaume de vos encouragements ! Pour aller plus loin, en effet, il faudrait distinguer 3 types de décisions : stratégiques, tactiques et opérationnelles. L’allocation des ressources concerne les décisions tactiques qui, dans votre cas, restent centralisées ; seules les décisions opérationnelles sont décentralisées. Cela semble être le cas dans votre entreprise. Cela fonctionne, en effet, si la causalité entre les différents types de décision est circulaire et non linaire.

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