Design organisationnel : les apports de la systémique

Design organisationnel : les apports de la systémique

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Il est aujourd’hui courant de recourir au terme « système » pour qualifier une entreprise ou l’une de ses entités. Il est également fréquent d’entendre dans la bouche des managers ou des dirigeants « c’est systémique » pour souligner qu’une décision concernant une entité en impacte d’autres.

La systémique a tellement pénétré le monde des entreprises que, au-delà de quelques grandes généralités, on en oublie les apports essentiels et on s’interdit d’en tirer tous les enseignements opérationnels en matière de design organisationnel.

Les origines de la systémique

La systémique est née dans les années 1950. Ses pères fondateurs sont le mathématicien Robert Wiener, les biologistes Ludwig von Bertalanffy et Warren McCulloch, et le cybernéticien Jay Forrester.

Plutôt issue des « sciences dures », la systémique s’est largement développée dans le champ des sciences humaines et sociales, en psychologie et sociologie notamment.

Appréhender l’entreprise comme un système, c’est reconnaître que les entités qui la composent interagissent dans l’optique d’atteindre un but. L’organisation qualifie alors l’agencement des interrelations entre ces entités.

Je retiens 5 apports principaux de la systémique à l’organisation des entreprises.

La primauté donnée aux relations

Là où des penseurs comme Adam Smith et Frederick Taylor ont insisté sur l’importance de la division du travail comme facteur de performance, la systémique nous invite à considérer d’abord et avant tout les relations entre les entités et la manière dont elles interagissent entre elles. Dit autrement, c’est sur les mécanismes d’interdépendance entre les entités que la systémique nous propose de nous pencher plus que sur les caractéristiques de chacune d’elles prise séparément.

Il ne sert à rien d’avoir un département de Recherche & Développement à la pointe de l’innovation technologique si les usines ne sont pas capables de fabriquer les produits développés et les vendeurs en mesure de trouver des clients désireux de les acheter. Il ne sera pas plus utile de posséder les vendeurs les plus agressifs d’un point de vue commercial si les usines ne sont pas en capacité de fabriquer les produits qu’ils ont promis aux clients.

En matière de design organisationnel, l’un des enseignements pour l’action issu de cette propriété relationnelle du système que constitue toute entreprise est qu’il convient de regrouper au sein de la même entité les activités qui dépendent le plus les unes des autres de manière à faciliter la coordination entre elles. L’administration de la formation, par exemple, doit-elle loger au sein du service de la formation ou de l’administration du personnel ? Cela dépend du degré d’interdépendance entre cette activité et celles de chacun des deux services.

Pas de “One best way”

Le principe systémique dit d’équifinalité postule qu’il est possible d’atteindre le même résultat à partir de différents points de départ. Dit autrement, contrairement à ce que soutenait Frederick Taylor et ses disciples, en matière d’organisation, il n’y a pas de “one best way”. Pour produire un résultat donné, il n’y a pas une seule et unique combinaison possible entre les composants d’un système mais plusieurs.

En matière de design organisationnel, cela permet d’envisager, non pas un, mais plusieurs scénarios. Il n’y a pas un scénario meilleur que tous les autres dans l’absolu. Chacun d’eux possède des avantages et des inconvénients selon la logique dans laquelle on s’inscrit.

Un tout différent de la somme des parties

Un système est un tout qui possède des caractéristiques que ne présente aucune des parties qui le constitue. Le tout est ainsi différent de la somme des parties. Il y a là toute la valeur ajoutée de l’organisation : faire à plusieurs ce que l’on ne peut pas réaliser seul.

L’organisation permet de tirer parti de synergies, ce que les systémiciens appellent des émergences. On cherche à faire en sorte que 1+1=3. Mais on oublie trop souvent que si le tout peut être supérieur à la somme des parties, il peut aussi être inférieur. Chaque entité peut très bien être individuellement performante sans que la performance collective escomptée ne soit au rendez-vous. On détruit alors plus de valeur que l’on en crée. C’est notamment le cas quand des activités, bien que dépendant fortement les unes des autres, sont logées dans des entités différentes. Pour être satisfait, le besoin de coordination nécessite la mise en œuvre de connections latérales (comités, rôles transverses…) lourdes et coûteuses. Leur coût finit par être plus conséquent que leur valeur ajoutée.

Du point de vue du design organisationnel, on distinguera les deux grandes logiques de regroupement des activités en unité au regard des synergies qu’elles permettent (voir mon billet à ce sujet). La logique fonctionnelle vise à regrouper au sein de la même entité les activités qui remplissent la même fonction. Elle favorise l’efficience à travers des économies d’échelle et des mutualisations de moyens d’une part, permet de renforcer l’expertise technique grâce à la spécialisation du travail et au partage des pratiques d’autre part.

La logique divisionnelle vise, elle, à regrouper au sein d’une même entité les activités qui appartiennent à un même processus. Ce faisant, elle permet la production d’un résultat, qu’aucune des entités ne peut atteindre seule, en adéquation avec les attentes particulières d’un client interne ou externe.

Rétroactions positives et négatives

Dans un système, il y a des variables d’entrée (inputs) et des variables de sortie (outputs). Entre ces deux types de variables, la causalité n’est pas linéaire mais circulaire. Par l’intermédiaire de boucles de rétroaction (feedbacks), les informations liées aux résultats obtenus sont renvoyées à l’entrée du système pour assurer sa régulation. La performance produite par l’organisation, c’est-à-dire sa capacité à atteindre le but recherché, permet de se prononcer sur sa pertinence, de la consolider ou bien de la faire évoluer voire d’en changer. Il existe deux types de boucles de rétroaction.

Quand les résultats obtenus sont conformes à ceux escomptés, des boucles de rétroaction négatives confirment la pertinence de l’organisation ayant permis de les produire. L’équilibre et la stabilité du système résulte alors de la régularité des performances produites par l’organisation. Les systémiciens parlent d’homéostasie pour qualifier la capacité du système à trouver et à maintenir son équilibre dans le temps.

La dynamique du changement dans le système, voire du changement de système, repose sur des boucles positives déclenchées quand l’écart entre les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de ceux escomptés. La réinjection sur l’entrée du système d’informations relatives à des résultats décevants permet de faire évoluer la nature voire le type d’organisation qui les ont produits. Une succession d’évolutions allant toutes dans la même direction se traduit par une transformation de l’organisation du système, c’est-à-dire un nouvel agencement entre les entités qui le composent.

Le design organisationnel doit tirer le meilleur parti des boucles de rétroaction, qu’elles soient positives ou négatives, en articulant étroitement l’organisation à sa finalité, c’est-à-dire au déploiement d’une vision stratégique particulière. De ce point de vue, la notion de capacité organisationnelle est fort utile. Les capacités organisationnelles sont les compétences que l’organisation doit posséder pour déployer la vision stratégique adoptée par l’entreprise. Elles sont indispensables pour évaluer la performance de l’organisation, c’est-à-dire pour apprécier si celle-ci produit bien ce qu’elle doit produire. Cela permet de savoir s’il faut confirmer ou bien faire évoluer tout ou partie de l’organisation.

Redondance et variété

La stabilité d’un système, issue de boucles de rétroaction négatives, est le produit de régularités dans les interactions entre les entités qui le composent. Pour qualifier ces régularités, les systémiciens parlent de redondance. Cette dernière intervient pour limiter le nombre de configurations théoriquement possibles entre les entités du système, c’est-à-dire sa variété.

Selon la fameuse loi dite de la variété requise due à William Ashby, la variété d’un système, c’est-à-dire le nombre de configurations différentes que les entités qui le composent peuvent adopter, doit être supérieure ou égale à celle de son environnement. Donc, plus l’environnement est turbulent et incertain, plus il est complexe, plus l’organisation doit permettre une variété importante du système que constitue l’entreprise.

En matière de design organisationnel, on peut augmenter la variété d’un système de deux manières : (1) en développant l’autonomie et la polyvalence des entités ; (2) en préférant les relations informelles sur les relations formelles. Une organisation agile, dont les entités autonomes sont capables de se reconfigurer de manière informelle en fonction de l’évolution des enjeux, offre une variété bien plus importante qu’une organisation bureaucratique dont les entités interagissent toujours de la même manière quelles que soient les circonstances.

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