Chez W.L. Gore & Associates, les sites ne dépassent pas 200 personnes. Chez Google, les équipes ne comptent pas plus de 6 membres. Chez Spotify, les squads sont composées de 6 à 12 personnes et les tribes ne regroupent pas plus de 130 salariés. Chez Amazon, Jeff Bezos parle de pizza teams pour mettre l’accent sur le fait que chaque équipe ne doit pas être composée de plus de 6 coéquipiers, soit le nombre de personnes que l’on peut nourrir avec deux pizzas.
Préserver une taille réduite tant pour les équipes que pour les entités opérationnelles est l’une des principales caractéristiques des organisations agiles. Cela nécessite qu’elles se développent par l’intermédiaire d’un processus de démultiplication. Dès qu’une équipe ou qu’une entité opérationnelle atteint sa taille maximale, on la subdivise en deux à l’image d’une cellule. Tous les moyens sont déployés, y compris les plus coûteux, pour éviter d’avoir des entités de taille « L », encore moins « XL » et surtout pas « XXL ». Pourquoi ?
La taille du néocortex comme point de départ
Dans les organisations agiles, au niveau de la taille des entités opérationnelles, le nombre dit de Dunbar fait office de référence, souvent implicitement et parfois explicitement comme chez Spotify. Robin Dunbar est un anthropologue britannique. Dans une étude publiée en 1992, il montre qu’une personne ne peut pas entretenir simultanément des relations humaines stables avec plus de 150 personnes différentes.
Le point de départ de son raisonnement est la taille du néocortex chez différents primates, notamment les singes, chimpanzés et babouins. Celle-ci est, selon lui, corrélée au nombre d’individus avec lesquels il est possible d’entretenir des relations sociales. Pour un individu, appartenir à un groupe de cinq personnes et en connaitre intimement chaque membre, nécessite d’être capable d’appréhender dix relations différentes : celle qu’il entretient personnellement avec les quatre autres individus du groupe auxquelles s’ajoutent les six relations qu’ils établissent entre eux. Pour un groupe de vingt individus, il s’agit non plus de dix relations différentes mais de 190. Dunbar établit une équation qui met en relation le neocortex ratio (la taille du néocortex rapporté à la taille du cerveau) d’une espèce et le nombre d’individus de leur groupe respectif. En extrapolant ses résultats à l’homme, il aboutit au chiffre moyen de 150 personnes.
Des données convergentes
Dunbar a ensuite réuni un ensemble de données sur 21 sociétés de chasseurs-cueilleurs aussi variées que les Warlpiri d’Australie, les Tauade de Nouvelle Guinée et les Ammassalik du Groenland. Il observe que, au sein de ces sociétés, la taille moyenne des villages est de 148,4 habitants. Par ailleurs, il constate que, de tout temps, au sein des armées, il est extrêmement rare que la taille d’une unité de combat dépasse 200 soldats.
Dernier exemple cité, lui, par Malcolm Gladwell : la communauté religieuse des Hutterites qui compte aujourd’hui encore plus de 50 000 adeptes situés principalement en Amérique du Nord. Les membres de la communauté partagent tous leurs biens. Par ailleurs, l’ensemble de la vie quotidienne se fait en commun : les repas sont pris ensemble ; l’éducation des enfants est également le souci de tous ; etc. Depuis des siècles, cette communauté est persuadée, sans véritablement être capable de l’expliquer, que, dès que la taille d’un de leur groupe dépasse 150 membres, l’esprit communautaire indispensable à leur vie en collectivité se détériore. En conséquence, dès que la taille d’un groupe atteint 150 personnes, il se sépare en deux.
Une question de confiance
La conclusion de Robin Dunbar est la suivante : au sein d’un groupe, au-delà de 150 personnes, la confiance mutuelle et la communication directe ne suffisent plus à assurer son fonctionnement. Une hiérarchie, une structure formelle et des règles sont alors indispensables à la régulation du groupe. Pour les éviter, il faut donc contraindre les entités organisationnelles à préserver une taille réduite. Cela nécessite d’assurer le développement d’une organisation agile par démultiplication des équipes et des entités opérationnelles.
Si les organisations agiles sont adeptes du small is beautiful d’Ernst Schumacher et qu’elles sont prêtes à payer le coût de son inefficience, c’est d’abord et avant tout pour préserver les conditions de la confiance à travers un ajustement mutuel entre leurs membres.
Des prolongements de ce billet se trouvent dans mon dernier ouvrage “S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise” consacré à l’organisation cellulaire. Vous pouvez accéder à une présentation détaillée de l’ouvrage en cliquant ici.
La raison pour laquelle les organisations agiles sont découpées en équipe de petite taille est de pouvoir transférer le pouvoir de décision sur le terrain aux équipes autonomes.
Cela permet une décision et une action plus rapide qui est nécessaire pour faire face avec agilité aux changements de plus en plus rapide. Et effectivement, il va falloir créer ce que le anglo-saxons appelle une “psychological safety” où chacun peut s’exprimer dans l’équipe sans avoir peur de représailles ou punition. Bâtir la confiance et la maintenir sera primordial.
Permettre d’avoir des conflits constructifs en cas de désaccord permettra alors de prendre les bonnes décisions pour l’équipe avec un engagement ferme et cohérent de tous les membres de l’équipe.