L’agilité au cœur du design organisationnel face au changement permanent

L’agilité au cœur du design organisationnel face au changement permanent

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Les développements informatiques ont longtemps été réalisés à partir d’une méthode classique de gestion de projet. Il s’agissait de recueillir le besoin d’un client, de le traduire dans un cahier des charges fonctionnel, d’élaborer un cahier des charges technique, puis de développer l’application, de la tester et, enfin, de la livrer au client. Cette méthode a été très populaire jusqu’au jour où la plupart des clients exprimaient plus d’insatisfaction que de satisfaction au moment de la livraison. Pourquoi ? Le plus souvent les développeurs avaient bien travaillé mais le besoin du client avait changé en cours de route.

Développeurs informatiques et designers organisationnels : même combat

Les développeurs informatiques ont alors changé de méthode. Ils ont adopté des méthodes dites agiles : itératives, incrémentales et adaptatives. Il s’agit de faire entrer le client dans la boucle de développement, de produire des incréments (des livrables intermédiaires mais tangibles et exploitables), de lui soumettre, d’intégrer son feedback en acceptant qu’il change d’avis en cours de route et, par itérations successives, de lui livrer des productions de valeur ajoutée croissante.

Les designers organisationnels sont aujourd’hui confrontés à la même problématique que celle des développeurs informatiques à l’époque. Quand la périodicité des changements est plus courte que la durée de leur mise en œuvre, ils n’ont pas terminé de déployer une nouvelle organisation qu’il faut déjà imaginer la suivante. Une question vient alors à l’esprit : La notion d’agilité est-elle aussi pertinente pour le design organisationnel qu’elle l’est pour le développement informatique ?

L’agilité organisationnelle : une capacité et non un attribut

Le terme agilité vient du combat aérien. Il désigne à l’origine la capacité à changer de manœuvre dans le temps. A ma connaissance, il est utilisé pour la première fois par le monde des affaires dans un rapport consacré à la stratégie des entreprises industrielles du XXIème siècle rédigé à la demande du congrès américain au début des années 1990. En 2001, dix-sept spécialistes du développement informatique se réunissent aux États-Unis pour échanger autour de leurs méthodes respectives. En guise de synthèse, ils rédigent un manifeste devenu célèbre.

Depuis, la notion d’agilité a largement dépassé les frontières du monde informatique. Elle est aujourd’hui à la mode en management, et en organisation en particulier. L’agilité organisationnelle évoque la nécessité de faire face à des changements fréquents et peu prévisibles, par la mise en œuvre d’ajustements rapides et efficaces, sans tout chambouler à chaque fois.  La question qui divise est de savoir si l’agilité doit être considérée comme l’un des attributs d’une organisation ou bien comme une capacité que toutes les organisations peuvent développer. Dit autrement y-a-t-il d’un côté les organisations agiles et de l’autre celles qui ne le sont pas ? Ou bien l’agilité est-elle une capacité que toute organisation possède en latence et qu’elle peut développer ?

Les travaux en quête d’une organisation agile sont les plus nombreux. Ils datent du milieu des années 1980 et proposent tous des modèles organisationnels peu ou prou centrés sur la compétence, l’autonomie ou encore la culture. Des modèles plus récents, comme celui de l’entreprise libérée, l’Holacratie ou encore la Teal Organization, empruntent la même voie. Ils font tous de l’autonomie l’une des principales caractéristiques d’une organisation agile.

D’autres travaux abordent au contraire l’agilité organisationnelle comme une capacité. Les plus probants sont ceux de Chris Worley et ses collègues du Center for Effective Organizations. Ils appréhendent l’agilité comme la capacité d’une organisation à produire des changements opportuns, efficients et pérennes. Toutes les formes d’organisation, y compris les bureaucraties, peuvent développer cette capacité.

Le débat mérite d’exister. En revanche, si on adopte une vision des organisations dynamique et processuelle (voir mon billet à ce sujet), il est vite tranché. En effet, si toute organisation est par essence même en mouvement alors l’agilité ne peut pas être appréhendée autrement que comme une capacité. Non, il n’y a pas d’un côté les organisations agiles et de l’autre celles qui ne le sont pas. L’agilité organisationnelle, c’est la capacité de favoriser le mouvement présent par essence même dans toute forme d’organisation, y compris les plus bureaucratiques.

Développer l’agilité des organisations : la finalité du design organisationnel face au changement permanent

Dans un contexte de changement permanent, la finalité du design organisationnel n’est rien d’autre que de développer l’agilité d’une organisation quelle que soit sa nature.

Une organisation est par essence en mouvement parce que consubstantiellement en tension. La tension au cœur de toute organisation, source de son énergie et de sa vitalité, résulte de la conjonction de deux processus à la fois complémentaires et antagonistes : la division du travail et la coordination des efforts.

Les cinq paramètres de conception, qui permettent de structurer les deux processus organisationnels de base, sont eux-mêmes des couples de forces en tension à la fois complémentaires et antagonistes (voir mon billet sur les cinq paramètres de conception d’une organisation). Quand les deux forces de chacun des cinq couples sont en équilibre, leur dimension complémentaire l’emporte sur leur aspect antagoniste, la tension reste latente et favorise la circulation de l’énergie –et donc le mouvement- au sein de l’organisation. En revanche, quand les deux forces d’un des cinq couples sont en déséquilibre, leur dimension antagoniste prend le pas sur leur aspect complémentaire, la tension devient manifeste et bloque la circulation de l’énergie au sein de l’organisation. C’est à ce moment-là qu’apparaissent des dysfonctionnements organisationnels.

La finalité du design organisationnel dans un contexte de changement permanent consiste à gérer le mieux possible la polarité de chacun des cinq paramètres de conception d’une organisation (voir mon billet sur les polarités organisationnelles). Cela nécessite d’être capable d’une part, d’identifier le plus rapidement possible quand les deux forces d’un des paramètres de conception sont en déséquilibre et, d’autre part, de recréer les conditions d’un nouvel équilibre.

Conclusion : au cœur de la notion d’agilité, il y a celle de polarité. Développer l’agilité d’une organisation veut en fait dire gérer le mieux possible la polarité de chacun de ses paramètres de conception.

Cet article est un extrait de mon ouvrage “L’organisation en mouvement. Adopter le changement permanent” accessible en cliquant ici.

2 COMMENTS

  1. Les nouvelles formes d’organisation du travail comme celles de l’entreprise libérée , veulent éviter la frustration des collaborateurs qui cherchent à mettre du sens dans leurs actions, en accordant plus d’autonomie, et donc de confiance, en supprimant les contrôles inutiles et le poids de la hiérarchie, les règles et consignes qui entravent la liberté d’action. Mais, elles entrainent aussi parallèlement des effets pervers : ” Les risques psychosociaux des nouvelles structures organisationnelles des entreprises ” : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=164&dossid=581

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