Le cercle vertueux de l’auto-organisation

Le cercle vertueux de l’auto-organisation

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La plupart des entreprises ne sont pas prêtes à abandonner leur organisation pyramidale pour adopter une organisation cellulaire (voir mon billet sur le sujet). Elles ne le seront peut-être jamais ! Pour autant, ce constat empêche-t-il de développer l’auto-organisation des équipes ? Je ne le crois pas !

Tout comme chacun d’entre nous peut, à son niveau, adopter des gestes écologiques pour protéger l’environnement sans attendre que nos gouvernants s’accordent sur des mesures globales pour sauver la planète, chaque manager peut, en accord avec ses collaborateurs, développer l’auto-organisation de son équipe (voir mon billet sur le sujet) alors même que l’organisation de son entreprise reste, elle, parfaitement pyramidale. Comment ? En créant un cercle vertueux composé de 6 temps.

Temps N°1 : Faire entrer le Tout dans les Parties

Comme dans une pyramide hiérarchique, le manager et ses collaborateurs sont les Parties d’une équipe auto-organisée qui constitue un Tout. Ce qui distingue une équipe auto-organisée d’une pyramide hiérarchique, c’est que, à la manière de l’ADN qui se trouve dans chaque cellule du corps humain, le Tout doit aussi se trouver à l’intérieur de chacune des Parties, les co-équipiers. C’est une condition pour qu’autonomie ne soit pas synonyme d’anarchie.

Le Tout que constitue une équipe auto-organisée peut se formaliser à 4 niveaux complémentaires : (1) la raison d’être de l’équipe ; (2) ses valeurs ; (3) ses règles de fonctionnement ; (4) ses règles de vie. Des collègues deviennent des co-équipiers quand ils partagent le même Tout et s’engagent à respecter des règles communes. La formalisation du Tout résulte ainsi nécessairement d’un travail collectif et collaboratif.

Temps N°2 : Articuler autonomie et coopération

Une équipe auto-organisée est un système ouvert sur un écosystème. Elle interagit avec des parties prenantes internes ou externes à l’entreprise. Autonomie et coopération entretiennent une relation qu’Edgar Morin qualifie de dialogique. Les deux notions sont à la fois complémentaires et antagonistes.

L’équipe auto-organisée doit identifier et bien distinguer : (1) les activités qu’elle peut exercer en propre de manière complètement autonome ; (2) celles qu’elle partage avec une ou plusieurs autres parties prenantes ; (3) celles sur lesquelles elle n’a aucune prise et pour lesquelles elle dépend de son environnement. Cela lui permettra de bien circonscrire son périmètre de responsabilités.

De la même manière, avec chacune de ses parties prenantes, l’équipe auto-organisée doit tout faire pour éviter les relations de dépendance (situation d’exclusivité et de monopole interne), de contre-dépendance (concurrence stérile dans l’allocation des ressources) et d’indépendance (duplication superflue de ressources aux seules fins d’éviter la coopération). Elle doit, autant que faire se peut, travailler à construire et entretenir de véritables relations d’interdépendance dans lesquelles chaque partie augmente son autonomie en coopérant.

Temps N°3 : Mettre l’équipe en mouvement

Une équipe auto-organisée est adepte de l’amélioration continue et du changement permanent. Elle pense plus « processus » que « état » et « rupture ». Elle se filme plus qu’elle ne se photographie.

Par nature agile, elle est constamment en mouvement. Elle n’oppose pas les notions d’évolution et de changement. Au contraire, pour elle, « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » comme disait Héraclite et, en même temps, « Les petits ruisseaux font les grandes rivières ».

La capacité de l’équipe auto-organisée à entretenir le mouvement permanent en son sein passe par la mise en place de rituels ancrés dans des horizons de temps différents et complémentaires : (1) des réunions quotidiennes pour permettre aux co-équipiers de s’informer mutuellement de leur activité de la veille et de la journée à venir ; (2) des réunions de pilotage (hebdomadaires, bimensuelles ou mensuelles selon la temporalité de l’activité de l’équipe) pour faire un point sur les résultats, les plans d’action et gérer les tensions au sein de l’équipe ; (3) des réunions de gouvernance (mensuelles, trimestrielles ou semestrielles selon les cas) pour, si nécessaire, faire évoluer chemin faisant l’organisation de l’équipe, en particulier en termes de rôles et de responsabilités.

Temps N°4 : Optimiser le potentiel combinatoire de l’équipe

L’équipe auto-organisée ne cherche pas la combinaison idéale ni même celle qui est la plus adaptée à sa mission et à son ambition à un moment donné. Elle vise au contraire à maximiser son adaptabilité en optimisant son potentiel combinatoire, c’est-à-dire en étant capable d’adopter le plus grand nombre de combinaisons possibles et d’en changer de manière rapide et fluide en fonction des circonstances.

Dans une pyramide hiérarchique, chaque personne tient une fonction et une seule. Au sein d’une équipe auto-organisée, chaque co-équipier joue plusieurs rôles, ces derniers pouvant s’apparenter aux missions des fonctions ou aux activités des processus.

Dans une pyramide hiérarchique, le manager tient l’ensemble de la fonction de management. Au sein d’une équipe auto-organisée, cette dernière peut être décomposée en rôles (animation d’équipe, développement des compétences, pilotage de la performance, amélioration continue…) qui ne sont pas forcément tous joués par le manager. En plus d’un ou plusieurs rôles de production, certains co-équipiers peuvent jouer un rôle de management.

En matière de permaculture, chaque élément doit remplir plusieurs fonctions (par exemple une une haie peut fournir à la fois de quoi manger, abriter la faune, se protéger du vent, de la pollution) et chaque fonction doit être remplie par plusieurs éléments (par exemple pour se protéger du vent on peut planter une haie mais aussi utiliser des ballots de paille ou poser une palissade). Il en va de même au niveau des équipes auto-organisées : chaque rôle doit être tenu par plusieurs membres de l’équipe et chaque co-équipier doit tenir plusieurs rôles.

Plus le nombre de rôles est important et plus le nombre de rôles que chaque co-équipier est capable de jouer est grand (donc plus les co-équipiers sont polyvalents), plus le nombre de combinaisons effectives est conséquent.

Temps N°5 : Décider à parité

Dans une pyramide hiérarchique, le manager porte la responsabilité de la performance. A ce titre, on lui alloue l’autorité de décider. Il lui appartient de le faire de manière plus ou moins participative. Plus la responsabilité de la performance est partagée entre les co-équipiers et plus l’autorité est distribuée entre eux, plus la capacité d’auto-organisation de l’équipe est importante.

Même si un manager et ses collaborateurs décident de développer l’auto-organisation de leur équipe, quand l’organisation de l’entreprise reste pyramidale, le manager continue à être tenu responsable de la performance. C’est lui qui, au bout du bout, doit rendre des comptes, pas ses collaborateurs. Il ne peut ainsi, sans prendre des risques inconsidérés, se dessaisir complètement de son autorité. Toutes les décisions ne peuvent donc pas se prendre à parité, comme cela est le cas quand les co-équipiers sont mutuellement responsables de la performance de l’équipe.

En revanche, le manager et ses collaborateurs peuvent décider ensemble quelles décisions il est souhaitable qu’ils prennent à parité pour permettre à l’équipe de développer sa capacité d’auto-organisation sans mettre quiconque en danger. Pour ce faire, la prise de décision par objection, issue de la sociocratie et reprise par l’holacratie, est sans doute la méthode la plus éprouvée.

Temps N°6 : Rétribuer performance et compétences

Au sein d’une équipe auto-organisée, la performance est rarement individualisable car la performance collective ne se réduit qu’exceptionnellement à la somme des performances individuelles. Tout type de rémunérations variables individuelles est au mieux dissonant et au pire contreproductif par rapport à la finalité de l’auto-organisation. Il convient donc de fixer des objectifs à l’équipe, et non à chacun des coéquipiers, et de rétribuer leur degré d’atteinte par un bonus d’équipe.

Si la performance n’est pas individualisable et nécessite d’être rémunérée de manière collective, on peut néanmoins identifier et caractériser des contributions individuelles différentes : tout le monde ne tient pas le ou les mêmes rôles. Un coéquipier très polyvalent, capable de jouer plusieurs rôles, ne contribue pas de la même manière qu’un coéquipier qui n’en tient qu’un seul. Sur une période donnée, la manière dont un coéquipier développe ses compétences, en augmentant son degré de maîtrise d’un ou plusieurs rôles, permet de déterminer le montant de son augmentation individuelle de salaire.

Un cercle, pas seulement un processus

Chaque étape du « Cercle vertueux de l’auto-organisation » prépare la suivante. L’ordre n’est pas anodin. Cet enchaînement n’est pas le seul possible. C’est celui qui, d’expérience, permet de créer et d’entretenir la dynamique la plus propice au développement de l’auto-organisation d’une équipe.

Les six étapes forment un cercle, et pas seulement un processus. L’auto-organisation est davantage un chemin qu’une destination à proprement parler. Le voyage ne se termine pas à la sixième étape. Il recommence en s’enrichissant des itérations précédentes dans l’esprit de l’agilité et de l’amélioration continue.

Des prolongements de ce billet se trouvent dans mon dernier ouvrage “Misez sur l’autonomie de son équipe. Choisir l’auto-organisation pour sortir du modèle pyramidal”. Vous pouvez accéder à une présentation détaillée de l’ouvrage en cliquant ici.

1 COMMENT

  1. Ça parait tellement simple expliqué comme ça ! J’adore.

    Et je vais mettre en pratique de suite ^^

    Merci pour cet article, je vais revenir régulièrement jeter un oeil par ici 😉

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