En matière d’organisation, ça dépend !

En matière d’organisation, ça dépend !

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L’organisation idéale n’existe pas ! Si elle existait tout le monde l’aurait adoptée depuis longtemps. Chaque modèle organisationnel (voir mon billet sur les 5 types d’organisation) possède des avantages et présente des inconvénients et, ce faisant, est plus ou moins adapté à un contexte d’action particulier.

C’est le principe dit de la contingence que les québécois ont renommé le principe du « ça dépend ». En matière d’organisation, donc, ça dépend ! Oui mais comment savoir si son organisation est adaptée à son contexte d’action ?

Le contexte d’action d’une organisation peut être appréhendé et caractérisé par des facteurs de contingence. Les deux principaux sont le degré de complexité du système à organiser d’une part, la culture de l’autorité de l’entreprise d’autre part.

Premier facteur de contingence : le degré de complexité du système à organiser

En s’inspirant des travaux d’Edgar Morin, on peut définir une organisation comme l’agencement des interactions entre les entités d’un système. Le degré de complexité du système à organiser est alors le premier des deux facteurs de contingence. Il s’évalue à partir de quatre facteurs :

  • le nombre et la différenciation des entités qui composent le système ;
  • le nombre, la fréquence et la prévisibilité de leurs interactions ;
  • la fréquence des changements d’agencement entre eux ;
  • et, enfin, leur type d’interdépendance.

Les trois premiers facteurs sont aisés à comprendre. Plus le nombre d’entités est important et plus leur différenciation est grande, plus le degré de complexité du système est fort (selon Paul Lawrence et Jay Lorsch, la différenciation des entités traduit les différences cognitives et affectives en leur sein et pas seulement la division du travail ; elle s’exprime à partir de quatre critères : la nature des objectifs de chacune des entités, leur horizon temporel de travail, la nature des relations interindividuelles en leur sein et le degré de formalisation de leur structure). De la même manière, plus les interactions entre les entités sont nombreuses et fréquentes, et moins elles sont prévisibles, plus le degré de complexité du système est fort. Enfin, moins le système est stable, c’est-à-dire plus les changements d’agencement entre ses entités sont fréquents, plus son degré de complexité est fort.

Le dernier des quatre facteurs permettant de mesurer le degré de complexité du système à organiser, le type d’interdépendance entre les entités qui le composent, est moins facile à appréhender que les trois premiers. Il mérite donc un développement particulier.

Le type d’interdépendance entre les entités du système

James Thompson propose de distinguer deux types d’interdépendance. L’interdépendance de ressources, d’abord : deux entités dépendent l’une de l’autre parce qu’elles consomment les mêmes ressources (matérielles, technologiques, humaines ou financières). C’est le cas, par exemple, de la division « Fret » et de la division « Voyageurs » d’une compagnie de chemins de fer qui partagent le même réseau ferré. Ou celui des services du département « Contrôle qualité » d’un laboratoire pharmaceutique dont les analystes partagent les mêmes équipements (balances, hottes, ordinateurs…). Ou encore celui des chefs de produit de la division « Grand public » d’une entreprise de cosmétiques qui partagent les mêmes budgets de promotion.

Au-delà des ressources qu’elles consomment, les entités d’un système peuvent dépendre les unes des autres dans l’exercice même de leur activité. On parle alors d’interdépendance d’activité que l’on peut elle-même subdiviser en deux catégories : interdépendance d’activité séquentielle ou réciproque.

Le département des fabrications d’une entreprise de meubles compte quatre ateliers, chacun centré sur une opération technique différente : débit, usinage, montage et finition. Les ateliers dépendent les uns des autres dans leur activité. La finition dépend du montage, qui dépend de l’usinage, lui-même dépendant du débit. Les « outputs » d’un atelier sont les « inputs » d’un autre. L’interdépendance est séquentielle dans la mesure où le flux d’activité entre les ateliers est unidirectionnel.

En revanche, au sein de la rédaction d’un journal, entre le rédacteur, le maquettiste et le secrétaire de rédaction, comme le montre le schéma ci-dessous, l’interdépendance d’activité est réciproque. Le flux est multidirectionnel.

La complexité générée par l’interdépendance d’activité est plus importante que celle liée à l’interdépendance de ressources. Au sein de l’interdépendance d’activité, la complexité issue de l’interdépendance réciproque est plus importante que celle produite par l’interdépendance séquentielle.

A chaque modèle organisationnel son degré de complexité

Dans un billet précédent, j’ai proposé de distinguer 5 modèles en fonction de la manière dont l’autorité est allouée au sein de l’organisation : modèles  personnalisé, bureaucratique, pyramidal, dual et cellulaire.

Les modèles personnalisé et bureaucratique permettent de satisfaire les exigences d’un niveau de complexité très faible. Le modèle pyramidal, lui, permet de répondre à un degré de complexité un peu plus important mais encore relativement faible. Les systèmes complexes, voire très complexes, nécessitent des organisations duales et, surtout, cellulaires.

Niveau de complexité Très faible Faible Fort Très fort
Modèles organisationnels Personnalisé

Bureaucratique

Pyramidal Dual Cellulaire

 

Second facteur de contingence : la culture de l’autorité

“La culture mange la stratégie à son petit-déjeuner” disait de manière imagée Peter Drucker. En le paraphrasant, on pourrait en dire autant de l’organisation : “La culture mange l’organisation à son petit-déjeuner.” Les différents modèles se différencient au premier chef au regard de la manière dont l’autorité est distribuée au sein de l’organisation. Au-delà du degré de complexité du système, la culture de l’autorité de l’entreprise constitue ainsi un terreau plus ou moins fertile pour les différents modèles organisationnels. C’est le second facteur de contingence organisationnelle.

Le modèle personnalisé est adapté à des entreprises dont la culture s’apparente à celle du « grand Homme », c’est-à-dire des lieux où on pense qu’une seule et unique personne peut, par sa vision et son charisme, « sauver le monde » : Nelson Mandela, Charles de Gaule, Steve Jobs… Une personne admirée, bonne et juste, entre les mains de laquelle on remet volontiers son destin.

Le modèle bureaucratique trouve, lui, un terrain favorable quand il y a une certaine forme de soumission à l’autorité. Les fameuses expériences de Stanley Milgram ont bien montré que les membres de certaines institutions pouvaient aller jusqu’à mettre la vie d’autrui en danger en se soumettant à une autorité institutionnelle.

Pour fonctionner correctement, les organisations issues du modèle pyramidal, elles, ont besoin d’une culture de la loyauté. C’est l’autorité qui est déléguée, pas les responsabilités. Cette délégation nécessite que le délégant ait confiance dans le délégataire et que, dans le même temps, le second se soumette au contrôle du premier en acceptant ses exigences de « reporting ». L’expression « la confiance n’exclut pas le contrôle » est un des credo préférés des cultures favorables au modèle pyramidal.

Dans le modèle dual, l’autorité est partagée entre ceux qui contrôlent l’utilisation des ressources (efficience) et ceux qui produisent les résultats opérationnels (efficacité). Les objectifs des premiers et des seconds sont à la fois complémentaires (aucun d’eux ne peut, à lui seul, être performant) et, en même temps, antagonistes. Ils sont donc en tension.  Le modèle ne peut ainsi s’épanouir que dans des univers où règne une culture de la confrontation. Le conflit y est appréhendé comme « normal » (en tout cas comme non pathologique, voire comme potentiellement productif) au regard de la divergence des objectifs.

« Ni Dieu ni maître ! » Voilà le véritable credo des cultures favorables au modèle cellulaire. Contrairement à ce que laisse penser le sens commun, l’anarchie n’est pas synonyme de disparition de toute forme d’autorité. Seulement, l’autorité n’est plus confisquée par quelques-uns. Elle  est un « bien commun » réparti entre l’ensemble des membres du groupe. L’organisation cellulaire n’est pas issue du modèle du « père », comme l’organisation personnalisée, mais de celui des « pairs ». Par ailleurs, le modèle cellulaire, pour se développer pleinement, nécessite des cultures qui reconnaissent des vertus au désordre. Indispensable à l’innovation et à la créativité, le désordre produit de l’organisation au même titre que l’ordre.

Des statuts différents

Les deux facteurs de contingence organisationnelle n’ont ainsi pas tout à fait le même statut. Le premier traduit le niveau de complexité du système à organiser. Les cinq modèles organisationnels permettent de satisfaire des niveaux de complexité variables. Le second, la culture de l’autorité de l’entreprise, est un terreau plus ou moins favorable à l’un ou l’autre des cinq modèles organisationnels.

Dans certains cas, on peut cependant faire le pari que l’adoption d’un modèle organisationnel donné, en décalage voire en rupture par rapport à la culture existante, est un moyen de faire évoluer cette dernière.

Cet article est un extrait de mon ouvrage “L’organisation en mouvement. Adopter le changement permanent” accessible en cliquant ici.

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