Dans un billet précédent, j’ai proposé de distinguer cinq grands types d’organisations différentes selon la manière dont l’autorité y est distribuée : l’organisation personnalisée, bureaucratique, pyramidale, duale et cellulaire.
Un premier billet a été consacré à l’organisation personnalisée, un deuxième à l’organisation pyramidale, un troisième l’organisation duale et un quatrième à l’organisation bureaucratique. Celui-ci est dédié à l’organisation cellulaire.
Les entreprises en quête d’agilité
L’origine du modèle cellulaire se trouve dans les équipes dites « semi-autonomes » nées dans les mines de charbon anglaises et modélisées par des chercheurs du Tavistock Institute de Londres. Les équipes « semi-autonomes » ont par la suite rencontré un vif succès en Europe du Nord, en Suède en particulier. Si leur développement a été plus lent en France, on les trouve néanmoins, dès les années 1980, dans le secteur de la chimie et dans l’industrie agro-alimentaire, chez Danone notamment.
Après un net déclin, le modèle cellulaire a connu un regain d’intérêt dans les années 1990 aux Etats-Unis avec le courant dit de la « team-based organization ». Aujourd’hui, il connaît un nouvel essor dans les entreprises digitales en quête d’agilité. Il est par exemple au cœur de l’Holacratie, modèle de gouvernance très en vogue dans les start-up.
Une distribution répartie de l’autorité
Dans l’organisation cellulaire, l’autorité est répartie entre l’ensemble des membres de l’équipe. De ce point de vue, ce modèle est à l’opposé de l’organisation personnalisée. Le pouvoir de décision y est complètement décentralisé sur la base du principe de la subsidiarité plutôt que sur celui de la délégation.
Rappelons que la délégation consiste à confier une mission ou une activité à une personne en lui donnant le pouvoir d’agir, mais en continuant à assumer la responsabilité du résultat final. La subsidiarité, elle, positionne le pouvoir de décision le plus près possible de l’action. Il s’agit d’attribuer chacun des rôles au niveau le mieux à même de l’exercer. Les deux principes sont ainsi diamétralement opposés : la délégation, au cœur du modèle pyramidal, est « top-down » ; la subsidiarité est, elle, « bottom-up ».
Cette distribution décentralisée de l’autorité donne à chaque membre de l’équipe une autonomie reconnue et revendiquée pour agir, résoudre des problèmes et prendre des décisions.
La taille réduite des équipes est le principal facteur clé de succès d’une distribution répartie de l’autorité. Chez Amazon, par exemple, on parle de « pizza-team » pour signifier que la taille d’une équipe ne doit pas dépasser le nombre de personnes que l’on peut nourrir avec deux pizzas, soit 8.
Une structure en cercle
La structure de l’organisation cellulaire s’apparente à un cercle composé de compétences autonomes non hiérarchisées. Celles-ci interagissent par l’intermédiaire d’ajustements mutuels coopératifs. Le travail d’intégration résulte de ce que Jean-Daniel Raynaud nomme une régulation autonome par opposition à la régulation de contrôle présente dans les trois autres types d’organisation et, en particulier, dans les modèles personnalisé et pyramidal.
Au sein d’un cercle, le travail est divisé en rôles. Le rôle est à l’organisation cellulaire, ce que la tâche est à l’organisation personnalisée, le poste à l’organisation pyramidale et la fonction à l’organisation duale.
Si chaque rôle est centré sur une responsabilité spécifique, les membres de l’équipe peuvent néanmoins en exercer plusieurs. Le brassage qui résulte de cette « polyvalence » garantit le décloisonnement de l’organisation et prévient les guerres de territoire. Cela traduit également le fait que, au sein de l’organisation cellulaire, il n’y a pas une hiérarchie mais plusieurs qui évoluent au gré des circonstances. Les différents maillages entre les membres de l’équipe permettent l’émergence de combinaisons éphémères et évolutives en fonction de la modification des exigences de performance. A un instant donné, une certaine hiérarchie provisoire s’établit entre les membres de l’équipe à travers une combinaison de rôles pour répondre à un objectif donné. Au cours de la phase suivante, une autre hiérarchie s’établit à travers une combinaison différente permettant de répondre à un nouvel objectif. Au sein de l’organisation cellulaire, on cherche moins la combinaison optimale que l’optimisation du potentiel combinatoire.
Les rôles ont une durée de vie limitée. Certains sont plus pérennes que d’autres mais ils ont tous vocation à être plus éphémères que permanents. Par ailleurs, si les rôles sont bien centrés sur une responsabilité spécifique associée à la raison d’être de l’organisation, leur périmètre et leur contour sont en partie dessinés par les compétences de leurs titulaires. Comme dans l’organisation duale, ici, l’organe façonne largement le rôle.
Enfin, les membres de l’équipe peuvent proposer de nouveaux rôles pour utiliser et valoriser leurs compétences. En cela, le management par les compétences est indispensable pour faire fonctionner l’organisation cellulaire.
Des organisations hautement complexes
Le modèle cellulaire permet de satisfaire un besoin d’organisation hautement complexe. Il est adapté à des équipes dont la diversité des profils est importante et, surtout, dont les interactions sont très fréquentes et difficilement prévisibles.
Les membres de l’équipe partagent des ressources mais leurs relations sont avant tout marquées par une interdépendance d’activité réciproque : ils dépendent les uns des autres dans des configurations relationnelles multiples, temporaires et évolutives.
Enfin, les changements sont permanents.
Une culture de l’anarchie et du désordre
L’organisation cellulaire trouve un terreau particulièrement favorable dans des milieux où il existe de la défiance vis-à-vis de toute forme d’autorité incarnée par une ou plusieurs personnes. Dans ces cultures, que l’on pourrait qualifier d’« anarchistes », l’autorité est acceptée à condition d’être répartie.
Par ailleurs, l’organisation cellulaire fait une place particulière au désordre. Si, dans sa philosophie au moins, l’organisation duale reconnaît des vertus au conflit, l’organisation cellulaire, elle, valorise le désordre. Une organisation, c’est-à-dire un ensemble d’interactions ordonnées, peut naître du désordre selon le processus suivant :
- une nouveauté inattendue se manifeste à un moment donné dans un système ordonné, c’est-à-dire une combinaison harmonieuse et stabilisée de rôles ;
- cet événement engendre des interactions spontanées différentes entre tout ou partie des membres de l’équipe ;
- ces interactions répondent favorablement aux nouvelles exigences de performance ;
- elles se stabilisent, font système, et constituent ainsi une nouvelle organisation.
Souvent, l’organisation cellulaire n’est pas très efficiente. Cela s’explique en particulier par la redondance des circuits de communication et d’information.
Mais, au-delà de cela, on y revendique quasi-explicitement un fonctionnement sous-optimal qui nécessite un niveau conséquent de « slack organisationnel ». Cette inefficience permet de tirer parti d’une certaine forme de désordre pour s’adapter, expérimenter et innover.
Des prolongements de ce billet se trouvent dans mon dernier ouvrage “S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise” consacré à l’organisation cellulaire. Vous pouvez accéder à une présentation détaillée de l’ouvrage en cliquant ici.